Everybody's a whore (nosios)

Everybody's a whore

Il se devait d’être présentable. Au moins de l’extérieur, même si son âme était creuse. L’homme qui se pensait jusque là -et à tord- garçon, dans un jeu d’enfant grandeur nature, comprenait peu à peu que la réalité le rattrapait. Un regard froid et destructeur à son encontre, réfléchit par une lumière froide et sans vie d’un miroir fade aigris, presque abimé de toujours ne refléter que morosité et mélancolie. Ses prunelles noires décrivaient lentement son apparat. Comme on lui avait enseigné durant toute son enfance, il n’avait laissé aucun détail au hasard. C’est ce que ses parents s’étaient évertués à lui transmettre. Toujours bien paraître. Comme s’ils avaient su, intimement, au fond d’eux-mêmes, que ce jour viendrait. Que la famille Sielle, cousine des Iskander, remonterait sur le trône pour le plus grand bonheur des membres -du très fermé- cercle.

Tous ces derniers évènements s'étaient déroulés si rapidement. La fin d'une époque et le début d'une nouvelle. Tout s'était organisé si vite, de part et d'autres, dans chacune des artères dissidentes du pouvoir, qu'il aurait fallu être un fou, pour ne pas voir que tout ceci avait été prémédité et cela depuis bien longtemps. Il avait bien conscience, qu'il n'était pas au parfum des grands « complots » et réflexions, de ces organisations -presque- souterraines. Il n'était pas naïf au point de croire que ce qu'il vivait, depuis plusieurs années, resterait inchangé, intact. Qu'il continuerait de mener son train de vie. Non. Il connaissait bien ces « grands penseurs » qui se croyaient révolutionnaires, arguant de répondre à des envies profondes du peuple, mais qui n'exécutaient que des desseins égocentrés. Mais si ses pensées criaient fortement tout ceci au sein de sa boite crânienne, un sourire chaleureux et de circonstance barrait son visage. Personne ne savait ce que cette mine renfrognée pensait véritablement dans le fond. Sans doute avait-il trop bien joué son jeu (?). D'une neutralité à toute épreuve. Tout comme les chefs de meute Iskander avant lui. Plus ou moins aussi bien que lui.

C’était pour cela, qu’il s’était retrouvé dans cette pièce. Il le savait. Il s’en doutait. Aujourd’hui, seul dans sa maisonnée, essayant d’apporter à son cœur des effluves de sang pour qu’il reparte, malade d’amour, le phénix se savait en roue libre. Aussi indépendant que jamais, mais imprévisible qu’une bête en cage que l’on avait affamé, depuis tant d’années. Il révisait mentalement les protocoles. Il connaissait bien Noah, mais il lui semblait que le temps de leur dernière conversation remontait à leur tendre enfance. Devait-il courber l’échine devant le tigre, devenu roi à la place du lion ? Des envolées lyriques et une incontinence verbale pour vanter les mérites de la prestance et de l’aura de sa divine personne, devenue royale depuis quelques semaines, mois ?

Inspectant le salon dans lequel on l'avait installé, aux allures de bronze, la lumière ici était différente. Son reflet l'était aussi. Cela lui donnait meilleure mine. Une grâce de sa majesté, qui l'avait expressément « convié » à venir le rencontrer.

GODS WILL FALL - 2019

« Majesté, M. Iskander est arrivé. », une voix qui prend des accents presque solennels, émanant de la gorge d’un majordome fidèle de la maison Sielle. Noah lève les yeux et hoche la tête. « Seigneur Iskander, Murray. », corrige le roi. C’est important, car même si Aleksios n’en voulait pas, c’était là la décision de Pavel et du reste du Cercle. Les Iskander étaient de retour à leur juste place, seigneurs du fief qui leur avait été confié des siècle auparavant, pour leur loyauté indéfectible. Loyauté que le tigre remettait en question, quand bien même ce n’était pas son rôle de le faire, mais celui de son ami et allié, Pavel. Murray incline la tête, s’excuse et quitte la pièce. Le roi, lui, range ses papiers les plus importants dans une boite réservée au roi. La clé n’existe pas, seul un magnétron peut ouvrir cette boite. Il glisse son pouce sur l’interstice entre le couvercle du haut et du bas, et le métal fond pour sceller les secrets du royaume.

Finalement, le Sielle se lève. Thanae redresse son imposante tête dans un coin de la pièce, et attire l’attention de son maître. La tigresse grogne doucement, comme pour demander la permission. « Vient. », ordonne le fauve, en tapant sa main contre sa cuisse, signe que la bête comprend depuis près de quatre ans désormais, depuis qu’il l’avait reçue en cadeau de son père. Le félin obéit, se lève et suit son maître.

C’est donc accompagné de sa majestueuse tigresse que le Sielle se rend dans le salon de cuivre. Il ouvre la porte, et pose son regard sur Aleskios, alors que la tigresse pénètre dans la pièce à sa suite. Il attend qu’elle soit entrée pour fermer la porte derrière elle, et s’approche de celui qui est un de ses cousins éloignés, par le mariage qui unit Asher à Themyskira. « Bonjour, Aleksios. », fait-il en tendant la main pour la lui serrer. « J’espère que tu as fait bon voyage jusqu’ici, et que passer la frontière n’a pas été trop pénible. ». Si Noah avait convié son ami pour lui parler de son lien à l’Ackermann qu’il avait été assez idiot pour épouser, il ne comptait cependant pas tout de suite entrer dans le vif du sujet. Aleksios ne lui avait pas - encore - personnellement prêté allégeance et Noah savait qu’il devait rester sur ses gardes.

EVERYBODY'S A WHORE

château des sielle, rezbia w/ @noah sielle
Son cœur battait la chamade pendant que ses mains devenaient de plus en plus moites. Il n’aimait pas être dans ce genre de position : celle de la proie. Habituellement, il était à la place de ce nouveau roi, celui qui traque, celui qui piège. Celui qui a l’ensemble du pouvoir et qui mène la danse. Cela a toujours été plus ou moins le cas, depuis que lui et sa sœur avaient pris place aux côtés de leur père au sein de l’entreprise familiale. C’était une position très agréable. Si agréable qu’il n’aurait, consciemment, jamais laissé la place à quelqu’un d’autre. Qui que ce soit… Pas même à Noah. Il le respectait oui. Mais il le craignait sans doute d’autant plus. Parce qu’il ne lui faisait pas tellement confiance. Il avait toujours vu dans le regard de l’argent une certaine dose d’hypocrisie, de fourberie et de manipulation. Il l’avait vu, puisqu’il - Aleksios - était fait du même acabit.

Il essayait de respirer calmement. Il ne voulait pas que sa majesté pense le toxic nerveux. Il en avait vu des pires, n’est-ce pas ? Il savait que cette visite de courtoisie n’était pas. Il ne s'agissait pas uniquement pour se remémorer le bon vieux temps et d'échanger sur des questions de politique externe. Il savait qu’il ressortirait de cette entrevue avec un poids supplémentaire sur les épaules, mais il espérait secrètement que, comme à son habitude, il trouverait toujours un moyen de s'en débarrasser. Une échappatoire qui satisferait le gamin du nord avant tout, sans jeter le discrédit sur le reste de sa famille. Il le devait.

La porte venait de bouger et son visage de façade venait, instinctivement, de s'activer. L'immense mammifère, emblème des Sielle et qui accompagnait toujours son maître, entrait en premier dans la pièce. Le phénix n'était pas tellement plus impressionné que cela. Il était habitué maintenant et il avait eu l'occasion de côtoyer de nombreuses fois la bête d'Asher, son beau-frère. S'il se méfiait toujours des réactions de cet animal sauvage, il semblait bien moins impressionné par sa présence que celle de son maître. La main tendue de l'un, déverrouillait les épaules de l'autre, afin de lui rendre l'amabilité. Le visage presque inexpressif, il était malgré tout - aussi surprenant que cela puisse paraître et le premier étonné d'ailleurs - heureux de revoir le magnetron. – « Long » disait-il tout simplement. Avant de souffler, épuisé. – « On ne rejoint pas si rapidement et si facilement que cela la nouvelle capitale gouvernementale et Rezbia. » Sa voix était sûre et ferme. Il se voulait confiant, comme à son habitude. – « Et le passage à la frontière s'est fait très facilement, je dois dire. Une simple évocation de mon nom de famille et les portes m'étaient ouvertes. Mais sans doute avais-tu prévenu de mon arrivée ? » disait-il avec un léger sourire sur les lèvres, pendant que ses yeux se plissaient en patte d'oie à leur extrémité extérieure. Il se voulait agréable. Finalement, il ne s'était encore rien passé, alors à quoi bon .. ?

Noah laisse un léger sourire étirer ses lippes, mais si celui-ci n’est pas aussi sincère qu’il l’aurait voulu. La vérité était que l’allégeance inconnue de son ami était réellement un problème pour lui, un des quelques problèmes qui l’empêchaient de trouver le sommeil, la nuit tombée. Il soupire et hoche doucement la tête. « Je savais effectivement que tu étais en chemin vers nos frontières, mais ton nom était suffisant. Les tiens ne sont pas de simples hommes, ici. », devait-il vraiment le lui rappeler ? « Les nobles de Hiokuri sont autant les bienvenus à Valdierva qu’ils le sont à Feraniski. », ajoute le brun, appuyant l’emphase sur la notion de noblesse qui, désormais, collait à la peau de l’Iskander, qu’il le veuille ou non.

Pour éviter d’entrer directement dans le coeur du sujet, tout en flirtant avec ses limites, le roi change légèrement de sujet. « J’espère que ton fils ne te manque pas trop. », fait-il en se dirigeant vers un petit bar, un peu plus loin. Là il sert deux verres de vins, rien de très extrême. Noah n’aime pas consommer les alcools de Hiokuri lorsqu’il parle de politique, et son verre de vin restera probablement assez peu touché, d’ailleurs, pendant la conversation. « A chaque fois que je quitte Nathanael pendant plus d’une semaine j’ai l’impression qu’une partie de moi me manque. J’ignore comment mon père a supporté d’avoir 5 enfants, tous éloignés de lui. » Le sujet est lancé, l’angle de la conversation clairement indiqué : ils vont parler du nouveau né, de famille… Et bien sûr d’allégeance, mais pas tout de suite. Noah tend le verre à Aleksios avant de s’installer en face de lui. Plusieurs cartes sont dans sa manche, toutes rangées dans un ordre précis. L’enfant, Themyskira, ses enfants à elle, leur affiliation à la famille Sielle, la couronne, le danger, la guerre. La nécessité d’un divorce, planant au dessus de tout ce petit monde. Un ordre à peine dissimulé que Noah n’aurait pas de mal à faire passer en temps voulu. Du moins il l'espérait.

EVERYBODY'S A WHORE

château des sielle, rezbia w/ @noah sielle
Il appréciait - à demi mot - le léger rappel du nouveau roi à propos des siens et du rang que pouvait occuper sa famille au sein de son royaume. S’il avait été élevé avec les histoires de ses ancêtres nobles, des contes fabuleux et des idéologies nostalgiques de ce temps, il avait eu très vite le goût de vivre avec son temps et non plus tourné vers le passé. Il aurait aimé - il aurait été fou de ne pas le vouloir - connaître également le faste, la voluptuosité de ce monde mondain. Mais cela ne lui semblait plus d’actualité. D’autant qu’Aleksios n’a jamais eu pour envie de diriger un royaume. L’idée que ses ancêtres puissent au contraire être des « whispers » du roi, lui était bien plus alléchante. Et puis, son empire, leur empire, ils l’avaient déjà, eux les Iskander. Magna banquier et de l’énergie. Ils avaient assez d’argent pour finalement - il en était persuadé - mettre fin à toutes ces querelles vaines. Alors, il ne répondait pas. Un simplement hochement de tête pour faire comprendre au brun en face de lui, que le message était clair. Et surtout qu’il ne l’oublierait pas. Jamais.

Mais ces banalités cordiales, flatteuses d’égo n’étaient présentes que pour désamorcer la véritable raison de la présence du toxic dans ce nouveau pays, en tête à tête avec le roi. Si le visage du phénix était plutôt chaleureux jusqu’à présent, il n’avait pas fallu très longtemps pour que ce dernier se fige et se pétrifie. Il venait de parler de son fils et rien que cette évocation était pour lui un crève cœur. Il savait pertinemment – il n’était pas complètement idiot – que la nouvelle se rependrait rapidement, mais… Devoir aborder ce sujet - épineux - avec Noah était une surprise. Pas des plus agréables. Acceptant le verre qui lui était tendu, il s’installait dans le sofa présent dans la pièce, en face du Sielle. Son regard c’était plongé dans celui de l'argent. Il ne déviait pas. Fiel abscons insidieusement installé dans creux du myocarde du toxic, il buvait une gorgée du liquide fangeux qu’on venait de lui servir. Noyé ses idées pour ne pas se faire alpaguer par la douleur de l’inévitable horreur. Esquille au fond de son myocarde, hurlant à la mort une peine incommensurable. L’argent savait que cet entretien n’était pas simplement des retrouvailles d’anciennes connaissances, mais bel et bien l’acte notarié du début d’une bataille.

Déposant son verre sur la table basse devant lui, il soupirait légèrement afin de relâcher la pression. La voix légèrement plus faible – « Yllan va bien. Et tu sais, il est sans doute bien trop jeune pour se rendre compte que je lui manque ! » il ne voulait pas rentrer dans les détails de ses ressentis et de ses émotions. Surtout pas avec Noah. – « Et toi, alors ? Tu te fais à ta nouvelle vie ? » demandait-il au départ très innocemment. – « Cela ne doit pas être si dur que cela, quand on a attendu cela toute sa vie… » il savait que cette remarque, n’allait pas jouer en sa faveur… Mais il n’avait pas les mêmes atouts que son adversaire du moment. Il devait jouer avec les maigres atouts qu’il avait.

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