Dans l’obscurité, au rythme d’un éclair, il rôde dans le château. Il n’est que 8h35. La nuit est douce aujourd’hui, contrastant avec la dureté des heures à venir. Il a tant attendu ce moment. Pourtant ce serait mentir que de dire qu’il ne le redoute pas un peu. Il part la trouver, cette enfant qu’il a vu grandir pour atteindre, déjà, cette majorité pour laquelle il n’est finalement peut-être pas totalement prêt. Si vite celle qui n’était autrefois qu’un nourrisson, au nid de l’innocence, aujourd’hui vole déjà presque de ses propres ailes. Il ne peut nier le doute qui vient se loger au creux de ses entrailles. Peut-être est-ce trop tôt. Non pas qu’il ne doute d’elle, il reconnaît ses capacités qui font bien là l’admiration d’un Macanthos, sang pur érudit. Néanmoins il n’omet pas la dureté de ce qui l’attend, cette dureté qui pourrait bien laisser plus de cicatrices qu’il ne l’espère.

A l’ombre d’un quelconque rebut, il l’aperçoit. Ce n’est pas dans sa chambre qu’il sait pouvoir la trouver. Si jeune est-elle, il reconnaît-là quelques habitudes que lui-même couvrait à son âge : l’entraînement. Sans l’ombre d’un doute est-elle alors nerveuse. Lui l’est, autant que lorsque Tonia s’était trouvée dans cette même situation, mais il ne lui montrera pas. Son rôle est avant tout de lui donner confiance.

D’apparence calme et maîtrisée, il s’avance doucement vers celle qui bientôt verra le soleil se lever. A présent dans la cour du château, elle se verra emmené dans un endroit dont elle ne connaîtra rien, étranger de ce qu’elle a pu voir jusqu’à présent, il s’approche sous les lumières du jardin royal. Il attend patiemment qu’elle ait fini ses mouvements, alors qu’il l’observe en silence, avant d’intervenir : « Fais attention à ta garde jeune fille. » Il le sait, Cora a un niveau bien plus supérieur aux filles de son âge en matière de combat. Et même la gente masculine, le jeune aigle semble de loin en être supérieur. Alors qu’il s’approche encore d’elle pour venir à sa rencontre, il lui demande alors : « Comment te sens-tu ? » Il est vrai, il n’est pas dans ses habitudes se s’attarder sur les sentiments de ceux qui l’entourent. Les démonstrations d’amour ne sont pas de son pli. Il a sa façon à lui de montrer la valeur qu’il peut accorder à ses proches, surtout lorsqu’il s’agit de sa fille. Ce jour est pourtant particulier, il ne peut se résoudre à le nier. Bien plus encore, il se soucie de celle qu’il ne pourrait se résoudre à voir amochée. Ne serait-ce qu’une égratignure lui serait plus que pénible à supporter. D’abord en étant frère il a compris ce qu’étaient les affres qu’engendre l’affection, davantage en devenant père l’appréhension est devenue son quotidien. Semble-t-elle ne jamais l’avoir quitté, au fond. Il la sent toujours un peu grandir en lui. Il sait que Cora est douée, qu’elle réussira, ça il n’en doute pas. Pourtant il sait aussi que ce monde est cruel et que les dangers les guettent, restant à l’affut de la moindre négligence pour mieux bondir tel un sauvage scélérat. S’ils se trouvent aujourd’hui dans la demeure de leurs alliés, loin de tout guêpier, dans quelques heures ceux qui sont ses amis tenteront de l’affaiblir. Elle a dans ses mains un atout qu’il trouve bon de lui rappeler. « N’oublie pas qu’il est question de ton pouvoir, tu possèdes entre tes mains la plus précieuse des cartes du jeu. » Lui tient entre ses mains un paquet, une grande boîte qu’il lui est difficile de masquer, mais qu’il ne lui donnera que dans quelques minutes. Elle doit comprendre que son pouvoir est sa plus grande force.

Alors qu'elle se trouve tout près d'elle, Hector revoit ce visage qu'il connaît depuis dix-huit années et quelques mois, maintenant. Il la revoit encore enfant. La jeune fille a changé, elle devient femme. Le petit aigle déplie les ailes et bientôt s'envolera de lui-même. A cette idée, son coeur se serre, à la pensée du temps passé, mais plus que tout encore, c'est un brin de fierté qui s'immisce à l'intérieur de lui. Il est fière de qui elle est et fière du pas qu'elle s'apprête à faire. Le sang Macanthos glisse doucement vers le Soleil. Si Prim n'est plus, ce Soleil là prend la relève.

Il l'entend lorsqu'elle lui dit qu'elle est prête, pourtant il la connaît celle qu'il a faite. Il ne doute aucunement de ses capacités, comment il le pourrait ? C'est une Macanthos, à l'image des siens il le sait, elle excelle. Pourtant il lui connaît une sensibilité. Cette sensibilité que lui a peut-être, mais qu'il a toujours étouffé. Que le père, Arius, feu Macanthos a anéanti au berceau. Alors cette sensibilité, aujourd'hui, est bien trop ancré. Sans l'ombre d'un doute, personne ne pourrait croire qu'Hector Macanthos est quelqu'un de particulière émotionnel, touché par les mots, affecté par les gestes. Pourtant, tout aussi humain qu'il l'est, il le demeure, sensible. Mais pourtant, comme il l'a appris à celle qui n'est plus une enfant, comme il a tenté de lui inculqué, la sensibilité est bien trop souvent confondue avec la faiblesse et les faibles, les gens les brisent. Les faibles n'ont pas leur place dans les combats. Alors, tristement, la sensibilité est cachée, vulnérabilité que le mal piétinerait sans aucun remord. Cette sensibilité ne peut s'adresser qu'aux proches, ceux en qui placer sa confiance et à des moments minutieusement choisis. Celui-ci n'en fait pas partie. Chaque petite faiblesse, touche de vulnérabilité, les mercenaires s'en saisiront et ça ne sera qu'un pied supplémentaire à abattre avant que le pont, en ébauche, la liant au Soleil ne tombe à jamais. Pour autant, il ne veut pas lui mettre quelconque pression. Il ne le peut pas, pas aujourd'hui.

Il se souvient de la fois où il s'était trouvé dans la même position qu'elle. De ce père qui n'avait fait que de prononcer des menaces à son encontre. L'homme détestable qu'était Arius, d'autant plus depuis la mort de d'Estrid, seulement trois années auparavant. Il se souvient de la lueur qui brillait au fond de son propre regard, à lui, Hector Macanthos, l'irrémédiable rage qui avait pu grandir en lui pendant des années était à son apogée. Pleine et entière. L'impatience le consumait, elle avait même éteint la peur. Ou presque. Il connaissait les risques d'un échec. Il se serait retrouvé excommuniée à jamais, vil humiliation des aigles, dégoût du père pour son fils. Fils qui ne l'aurait certainement plus était. Alors si l'échec n'était pas une solution, la peur était inévitable. Mais depuis les années il l'avait étouffé, qu'elle ne soit qu'illusion. Il l'avait rendu muette, car s'il savait bien une chose, c'est qu'elle ne constituait qu'une limite à la réussite.

C'est ce qu'il avait appris.
Cependant il n'était pas Arius. Il avait l'intime conviction que la violence, celle des mots ici, n'était pas une solution. Provoquer la crainte n'en était pas une non plus. La meilleure réussite, celle du savoir, la force de combattre, la meilleure victoire était celle qui était donnée pour l'amour de soi et l'amour des autres.

L'appréhension lui servirait de force, tant qu'elle ne la rendrait pas incapable de toute manoeuvre.
Il était convaincu qu'elle en était capable. Et il avait alors pour sa tendre un présent qui sans l'ombre d'un doute ravirait son coeur. Il connaissait l'estime qu'elle lui portait. « Avant qu'ils ne t'emmènent je voudrais te donner quelque chose. » Il cache dans son dos le paquet. Finement rangé dans son étui, emballé pour qu'elle ne puisse deviner ce qui s'y cache en apercevant l'écrin du bijoux qu'il tenait entre ses doigts. « Il me semble qu'il te manque. » Et sous le regard de biche de l'enfant, il lui tend à présent, un sourire peint sur ses lèvres. Le sourire d'un père à sa fille. Le sourire de celui qui est fière.

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