Un uniforme, ça s'entretient. En arrivant à Aldion, Sirius avait dû se défaire de son ancien uniforme, parti en lambeaux suite aux tourments, aux turpitudes et aux aspérités vécus à Aureus suite aux événements qui s'y étaient déroulés en septembre. L'intégrité du costume avait été mise à rude épreuve de par les interventions professionnelles que le jeune homme avait dû mener ce jour là, alors qu'ensuite, les décisions qu'il avait prises n'y avaient rien arranger. Avec Phineas, ils avaient cherché Vega pendant plusieurs jours, au péril de leur vie et en prenant sans doute des risques tout à fait inconsidérés. Mais ils l'avaient fait, parce qu'ils étaient persuadés qu'il n'y avait rien d'autre à faire, sauf s'ils étaient partants pour ne plus jamais se regarder dans une glace. Pour lui, il avait également s'agit de respecter sa fidélité à ses idéaux : sauver, ou tout de moins essayer de sauver. Toujours. A tout prix. En tout cas, l'uniforme n'avait pas survécu, et même s'il aurait probablement pu vivre une deuxième jeunesse, il avait mieux valu s'en débarrasser. Le mettre au rebut, cela avait été comme dire au revoir à une partie de sa vie. Sirius n'était pas défaitiste ni même pessimiste, mais il avait très bien conscience du fait que rien ne serait jamais plus pareil. Cela allait au delà du fait que, désormais, il était orphelin, le cœur sur une civière. La géopolitique de tout le continent avait été bousculée, comme un joueur d'échecs qui aurait fait valser la table à l'autre bout de la pièce : rois, reines, fous, cavaliers, pions; tous étaient éparpillés en tout sens et on avait comme fait des petits tas pour donner un semblant de cohérence et d'organisation, et ... Et désormais, du moins, pour l'instant, sa vie à lui était ici. A Aldion. Et plus généralement, à Trinitae. Sans qu'il ne sache trop ce qu'il en pensait réellement. Il refusait de remettre entièrement en cause ce en quoi son père avait particulièrement cru, ce pour quoi il s'était battu, car cela serait revenu, à ses yeux, comme la tuer une seconde fois, cette ascendance paternelle, et cette fois-ci de sa propre main, ce à quoi il se refusait, évidemment. Sirius, il s'était engagé chez les pompiers pour un tas de raison, mais sûrement pas pour être responsable du décès des gens. Et là ... Là, on l'avait maintenu dans ses fonctions, sans doute : c'était juste son lieu de travail et sa juridiction qui avaient changés. En même temps que les hommes sous ses ordres. Son costume. L'identité des gens qu'il devait protéger et servir. Pas de quoi distiller de doute dans son esprit quant au fait que sa vocation reste la même.

Assis sur un canapé, dans l'un des salons, le jeune homme était tout à son ouvrage. Il devait entretenir ce nouvel uniforme qui était le sien, et cela passait par le fait de s'assurer qu'il était toujours propre, sans trop de trous, surtout, car les trous, c'est loin d'être à l'épreuve du feu et des autres aléas risqués de la profession. Présentement, il recousait un écusson, qui, sans doute par défaut de fabrication, avait vu certaines de ses coutures s'effilocher. Pas qu'on puisse confondre l'uniforme avec quelque autre vêtement, et donc, aussi, confondre la profession de Sirius, mais cela faisait partie des règles de base qu'il avait apprises dès qu'il s'était engagé. En tant que pompier, il se devait de renvoyer une certaine image, et il avait conscience qu'aux yeux des gens, chaque homme en uniforme représentait son corps. C'était sans doute la même chose dans l'Armée. Il en avait déjà parlé à Cygnus, mais là ... Penser à son autre frère, même de façon fugace, n'était pas réellement quelque chose qu'il voulait faire. Trop douloureux. Trop pluridimensionnel aussi. Trop paradoxal et incertain, surtout. Et peut-être même trop unilatéral : Cygnus pensait-il seulement à lui, de son côté ? Tout à son ouvrage, les yeux rivés sur cette aiguille qui va et qui vient avec autant de grâce, d'application d'harmonie gestuelle dont il peut faire preuve, le voilà tiré de son travail par la voix de Hesper. Sa sœur. Sa sœur unique. Son unique sœur. De quoi lui faire marquer un temps d'arrêt, comme pour se permettre de diriger l'information de son retour et se dire que, non, il n'hallucine pas. « Hesper ... » Son regard se pose et dérive sur le visage de sa sœur, encore plus diaphane que d'habitude. Et alors que ses yeux chercheraient presque à la passer en revue visuellement, comme pour la sonder, les questions, les vraies questions, celles qui sont sans nul doute légitimes, celles qui viennent du cœur, et bien elles ne franchissent pas le seuil de ses lèvres. Sirius a appris et compris depuis longtemps que ses aînés ne lui offraient pas toujours toutes les réponses dont il était en quête, parfois parce qu'eux-mêmes ne les possédaient pas réellement. Il se lève alors, posant son uniforme sur le siège qu'il occupait jusqu'alors, et il la prend dans ses bras. Pas de scène, pas de mélo car, après tout, à quoi bon. Le jeune homme a depuis longtemps compris que cela lui était inutile, qu'il se ferait toujours plus de mal qu'autre chose, sorte de quatrième roue d'un carrosse qui s'auto-persuadait de pouvoir avancer sur trois roues seulement. « Tu es là maintenant ... » Nul mensonge, rien que la vérité. Celle qui émergeait de cette flopée d'autres questions qu'il taisait.