Dans la chambre conjugale, des femmes s’activent autour de la récente épouse Xi’Nora. L’une tire sur ses boucles brunes pour créer un chignon, l’autre maquille le visage tandis que la troisième propose une tenue adéquate pour le dîner du soir. Cela l’ennuie toute cette attention, cette impression d’être infantilisée, de ne pas être capable de s’occuper de son corps comme elle l’entend. De plus, Cassiopée n’apprécie que moyennement l’idée de domestiques, cela ne lui rappelle que trop les différences idiotes qui existent entre les sangs. Mais voilà, elle ne peut rien en dire, et certainement pas le montrer, après tout elle porte l’anneau de métal qui montre au monde qu’elle pense le contraire. L’Iskander ment aux autres et à elle-même, l’honnêteté qui était son cheval de guerre même dans les pires des situations n’a plus sa place dans la Cour du Roi. Alors, elle se laisse faire telle la poupée qu’on désire voir et laisse ses pensées déferler dans son esprit. Elle repense malgré elle au baiser échangé entre Loras et Cygnus, à Sirius de l’autre côté d’une frontière érigée par des hommes avides de pouvoir, à son époux enfin qui pour le moment n’a de mari que le titre. Les deux êtres se croisent, mais se sont à peine adressés la parole depuis les vœux échangés, des fantômes ils restent l’un pour l’autre, même au sein de ce grand lit qu’ils partagent. Et, c’est peut-être la récente découverte que Cygnus a définitivement tiré un trait sur leur histoire, ou bien le feu qui brûle en elle comme en ses ancêtres, toutefois, Cassi n’en peut plus de ces longs silences, de stagner dans ce monde alors que celui-ci avance à vive allure, la laissant sur le côté, essoufflée, esseulée. De fait, quand Pavel fait son entrée – on dirait qu’il contrôle la pièce, celle-ci disparaît derrière l’aura qu’il dégage, s’en rend-il seulement compte – son épouse plante ses iris dans les siennes, sans baisser les yeux, sans prononcer un mot. Bien vite, les domestiques sont congédiées au plus grand soulagement de la poupée qui ne désire que sa liberté de mouvement à défaut de l’avoir complètement. Quelque part, la brune s’attend à ne pas recevoir plus qu’un regard, un hochement de tête ou son prénom prononcé du bout des lippes avant qu’elle ne redevienne une pièce de décors, une ombre dans le paysage. Non, Cassi ne se laissera pas faire, pas cette fois, la jeune femme s’apprête à parler et à lui montrer de quoi sont faites les Iskander quand les propos de son époux la prennent au dépourvu. Ses yeux s’agrandissent jusqu’à ce que ses lèvres forment un « O » ravissant. D’instinct, pour se protéger et prendre un peu de cette contenance qui lui a échappée, Cassiopée attrape la brosse tendue et s’active avec délicatesse sur ses cheveux – son deuxième plus bel atout si on le lui demandait – en reprenant sa position ultérieure, ses yeux observant avec attention les gestes du Xi’Nora dans la glace. « Pareille aux autres jours. » Sa voix est monocorde, il devrait le savoir qu’elle s’ennuie, bien qu’ils n’aient jamais été proches, il devrait savoir que son métier lui manque, que l’inaction n’a jamais fait partie de sa vie. Mais, ils n’avanceront à rien si elle ne fait pas d’efforts, et la toxic ne peut plus compter sur de futiles espoirs d’une romance fanée, ni sur la folle idée de s’enfuir au loin. Un sourire détend son visage tandis que sa voix prend les notes chaudes et sensuelles qu’elle manie avec soin sans même s’en apercevoir. « Si je pouvais reprendre ma profession, sans doute que j’aurais plus de choses à te raconter le soir venu. » Ses yeux pétillent, emplis d’espoirs, même si cela la dégoûte un peu de devoir demander la permission. Sa tête se penche sur le côté, la brosse abandonnée, les cheveux toujours lâchés qui encadrent son charmant visage. « Et toi Pavel ? J’espère que notre roi ne te fatigue pas trop, sinon tu n’auras jamais assez de force pour distraire ta pauvre femme de l’ennuie dans lequel elle est plongée. » Des dents sur les lippes. Et Cassi ne comprend pas réellement ce qu’elle fait, là tout de suite, sans doute est-elle devenue inconsciente, sans doute que la vision d’un certain baiser ne la quitte plus jusqu’à lui faire perdre toute raison. Oui c’est cela, elle a besoin de se distraire, pas de l’ennuie, mais de l’autre qui est obsession pour son esprit rêveur. Et plus que tout, elle a besoin de croire qu’elle peut avancer.

«It was your choice. » Les mots de Cygnus passent et repassent dans sa tête en un requiem incessant. Son choix de se marier, de rester avec sa famille, de ne pas s’enfuir. Il n’a pas tout à fait tort, même si cela revient à simplifier à l’extrême une situation bien plus complexe. Quand on a toute sa vie vécu protégée, à l’abri du besoin, il est difficile de s’imaginer en fuite, exilée, rejetée. Alors oui, d’une certaine manière Cassiopée a fait un choix, même si à ce moment-là elle n’avait pas réellement l’impression d’avoir de nombreuses options à sa disposition. Assise en face de son mari qui lui semble aussi maladroit et mal à l’aise qu’elle, l’ancienne Iskander réalise qu’elle doit maintenant composer avec ce choix. Faire d’une mauvaise décision, le meilleur possible, et peut-être alors réalisera-t-elle que ce mariage n’est pas une prison, un puits dans lequel se noyer. Après une certaine hésitation, il lui accorde ce qu’elle désire plus que tout : une activité, sa passion, un peu de liberté. Il y met des conditions et cela la fait sourire, doucement, presque tendrement. « Je te le promets, merci. » Elle répond sans une seconde de réflexion, tout ce qu’il demande pour la possibilité de pratiquer la médecine à nouveau, de se retrouver et ne pas se perdre dans une oisiveté qui ne lui ressemble guère. Les femmes du phénix ne sont pas des oies promptes à la paresse et l’inaction. Elles brûlent d’un feu inextinguible. Là est leur plus belle force et leur plus dangereuse faiblesse, femmes de passion avant toute autre chose. Mais la raison ne leur est pas pour autant étrangère. Surtout pour l’esprit scientifique et affûté de Cassi. Elle n’a jamais été très douée dans l’utilisation de son pouvoir, ni dans les arts du combat, préférant de loin l’art de l’esprit à celui de l’agir. Le rire qui répond à sa mutine taquinerie la surprend et éclaire la pièce d’une chaleur nouvelle. S’il fait froid dehors, une bulle s’étire autour de leurs deux corps dans l’intimité de cette pièce qui n’appartient qu’à eux. C’est agréable et étrange à la fois. Pour être tout à fait honnête avec elle-même, Cassiopée ne sait sur quel pied danser avec celui qu’elle a épousé sans le connaître. Elle a l’impression de marcher sur un fil lâche qui menace de la faire tomber. Mais Cygnus, en fermant la porte d’un possible futur entre eux, en a ouvert une autre. Et elle veut croire et espérer qu’un jour elle pourra ressentir quelque chose de similaire pour quelqu’un d’autre. La brune n’est pas sûre de pouvoir aimer un autre homme comme elle a aimé – et aime toujours – Cygnus, entièrement, complètement, sans retenue et réserve. Mais elle espère, car elle n’a plus que cela. Elle n’a plus que lui, femme mariée à un roi, future reine d’un pays encore imaginaire. Ses grands yeux profonds le fixent, observent l’inspiration longue que Pavel prend avant de lui répondre, se perdent un instant dans le mouvement de ses lippes. « En vérité, j’apprécierai parfois une épaule sur laquelle me reposer. Mes frères et sœurs ne sont pas les plus faciles à contrôler… et Hiokuri est toujours aux mains du gouvernement, je n’ai rien d’autre que le titre. Si je ne veux pas que la population du nord se souvienne de moi comme du roi fantôme, il faut que je trouve rapidement un moyen de reprendre possession du territoire. » Sa bouche reste béate devant tant d’honnêteté et … de pression qui se dégage de ces mots. Elle est jeune Cassi, si naïve et éloignée de la politique depuis toujours, voilà qu’elle ne pense qu’à des histoires d’amour et son propre confort alors qu’il y a des guerres à mener, des territoires à conquérir. Elle se sent bête, et en même temps un souffle nouveau enfle dans son cœur, elle a envie d’être cette épaule. Cassiopée comprend de quoi il parle, Shila est sa meilleure amie et Kiran, un immonde personnage selon ses standards. « J’aimerais aussi être un mari dont tu puisses être fière… » Pavel l’étonne à chaque phrase, à tel point qu’aucun son ne s’échappe de ses lippes entrouvertes, qu’une légère teinte argentée s’empare de ses joues maquillées pour la soirée. « Peut-être pourrions-nous prendre un peu plus de temps tous les deux, pour se connaître mieux. » Sa main s’apprête à passer dans ses cheveux, mais elle se retient, il ne faudrait décoiffer ces cheveux qu’elle a passé trop de temps à dompter. Elle hoche simplement de la tête, soudain plus timide. « J’aimerais beaucoup cela. Je n’ai pas envie d’être mariée avec un inconnu et … » Ses yeux se tournent vers la fenêtre, vers cette nuit sans fin où luit une lune pleine. « J’aimerais être cette épaule. Je ne suis pas très douée pour tout ce qui concerne la politique et je ne te dirais jamais d’envoyer des soldats ici ou là-bas, mais, j’aimerais être là pour toi. Et qui sait, peut-être que mes conseils de novices pourront t’être utiles. Ici, tu peux tout me dire et rien ne sortira de cette chambre. » Ils reviennent se planter dans les iris de son mari. Le moment est solennel presque intense si ce n’est pour les pupilles d’un autre qui tentent de se juxtaposer à celle de son époux. Cassi les renvoie dans les méandres du passé auxquelles elles appartiennent, à un autre et à une autre vie. « Je suis ta femme. » même si ce n’est pas ce que je désirais au départ. Elle se mord la bouche, à peine certaine de l’effet que produira sa prochaine phrase. « Je ne veux pas être marié à un fantôme, même s’il est roi, je préfère être mariée à un homme avant tout. » Elle-même n’est pas sûre d’entrevoir la portée de ses mots. Cassiopée se perd dans ce moment, dans cet espoir, son sourire s’élargit. « Mais pour que l’on se fasse confiance, il faut que l’on apprenne à se connaître et il n’y a pas de meilleurs moments que le présent. » Ajoute-t-elle presque philosophe, l’œil rieur et le doigt en l’air. La phrase s’installe dans l’air entre les deux, s’étire comme un fil qui relierait leurs deux anneaux de mariage. Des vœux qui ont été faits, des promesses aussi. Elle s’arrête pourtant, ne sait pas par où commencer, perdue dans ce qu’elle aimerait savoir de lui, inquiète un peu des questions qu’il pourrait lui poser et des réponses qu’elle lui donnerait.