Le cours des choses battait son plein, sans que Satyne ne puisse avoir la certitude de toujours bien maîtriser les choses. Elle avait beau s’y employer, comme en y enfonçant ses ongles avec l’intime volonté de ne rien lâcher, elle devait bien reconnaître que certaines choses lui échappaient. Et depuis qu’elle avait mis Noah au parfum, concernant l’identité hautement secrète du Haut-Sénéchal, elle avait comme la sensation de marcher sur des œufs. En permanence ou presque. Sensation qu’elle détestait, cela allait sans dire. Car désormais, une part du voile était levée la concernant, pour peu qu’on ait été informé de ce qu’elle avait été raconter au jeune souverain de Valdierva. Une part du voile, mais pas tout le voile, ce qui n’était pas sans lui valoir une attitude nettement plus réservée de la part de son époux. Disons qu’elle voyait bien qu’il ne la regardait plus exactement comme avant, et qu’il se faisait plus hésitant quant à l’attitude à adopter en sa présence. Le fait était, en tout cas, que cela lui valait de bien souvent l’entendre lui demander de l’accompagner à Rezbia à chaque fois qu’il s’y rendait, non sans qu’elle ne sente l’ordre voilé qui se dissimulait un peu dans l’ombre. Bien sûr, elle était encore libre et maîtresse d’elle-même, mais Rezbia étant une ville dont le charme et le prestige lui convenaient grandement, notamment parce que s’y trouvait la résidence royale de la monarchie de Valdierva, et bien elle ne traînait pas la patte. Du moins pas trop. Et puis, à Rezbia, il y avait aussi Romilda. Elles s’étaient revues, bien sûr, depuis qu’elles avaient toutes deux dû se rapatrier ici, à Valdierva, chassées d’Aureus de par la couleur de leur sang trop peu rouge pour l’Ordre, mais également parce que l’allégeance et les affiliations familiales des frères Kolikowski en exigeaient ainsi. De plus, là où Romilda demeurait une Iskander, ne s’étant pas encore faite passer la corde au cou par son promis, et que la famille du Nord demeurait officiellement neutre, pour les Whalberg, il en allait tout autrement, là où, de toute façon, Satyne était devenue une Kolikowski il y avait déjà plus de deux ans de cela.

Parfois, elle se prenait à vouloir qu’il en soit autrement, mais la plupart du temps, Satyne se satisfaisait tout de même de ne pas être si mal tombée que cela. Elle aurait par exemple pu se retrouver mariée au si agaçant Dmitri Kolikowski … Le cas de figure lui fichait des frissons, et pas forcément pour de bonnes raisons. Mais peut-être qu’alors, elle aurait ressenti moins de remords et de sentiments paradoxaux en jouant ce jeu de la duplicité maritale, de par ce chantage qu’elle subissait de la part de son cher beau-père. Pas Leonidas. Elle l’aimait bien, Leonidas. Mais Sylar. Le terrible Sylar … La jeune femme n’avait pas besoin d’y songer bien longtemps pour se dire que, finalement, Dmitri n’était quand même pas si horrible que cela. Disons que, lui, au moins, il ne hantait pas ses songes, déjà bien tourmentés ces derniers temps sans qu’il n’y ait besoin d’en rajouter. L’addition était quelque peu salée, et elle se doutait bien que sa meilleure amie et future belle-sœur ne devait elle non plus pas entièrement être épargnée. Cela se voyait et se sentait, pour elle. Même en étant bien maquillée et en voulant toujours être à son avantage. Et elle connaissait suffisamment bien Romilda pour tout savoir de ses propres petits tours de passe-passe. De quoi tout de même la pousser à en avoir le cœur net. Une occasion qui se présentait enfin, alors que les deux frères Kolikowski assistaient à une réunion dont Satyne n’avait que peu de choses à faire. Le Cercle, ça lui passait un peu au-dessus, tout ça tout ça. Sauf si ce dernier se décidait à décimer les rangs des Perles, et en particulier à en décapiter la tête. A ce moment là, alors, ils auraient son éternelle reconnaissance. Surtout s’ils la laissaient transformer en brasier le restant de la famille Nylander, son demi-frère et sa demi-sœur maternels mis à part. Eux, ils pourraient vivre, ils n’étaient encore que des enfants, innocents. Enfin, l'étaient-ils réellement ? La vie était vraiment plus compliquée qu'il ne l'aurait fallu, à croire qu'elle ne vivait que de drames et de tragédies. Heureusement qu'il existait encore des parenthèses enchantées, pour compenser. De quoi la pousser à accélérer le pas pour retrouver Romilda là où elles s'étaient données rendez-vous, dans une sorte de petit salon de thé, au pied de la citadelle royale. Ici, point de Perles vautours, point de frères Kolikowski qui les surveilleraient. Juste elles. Elles deux. Elles deux dans ce salon de thé dont elles avaient presque privatisé l'une des alcôves. Et Satyne était la dernière arrivée, ne manquant pas de signifier son agacement en laissant la porte claquer derrière elle, ce qui fit s'agiter le carillon des clochettes de l'entrée. Rejoignant vissa sa meilleure amie, elle lui déposa un baiser affectueux sur l'une des joues avant de s'asseoir face à elle. « Désolée, je suis en retard, mais Luke ... Il est encore plus précautionneux que d'habitude en ce moment. »  Pour accompagner le geste à la parole, la jeune femme ne manqua pas de rouler exagérément des yeux et de lâcher un soupir de colossale fatigue. Au moins.

Elle avait toujours été très famille, Satyne. En grande partie parce que les Whalberg avaient toujours éprouvé une grande affection pour elle, depuis sa naissance, non sans toujours chercher à la protéger, parce qu'elle était née mutante et que ce monde ne faisait pas toujours de cadeaux à ceux dont le sang se parait des mêmes teintes que le sien. Dès lors, elle avait été élevée en étant entourée d'amour, de chaleur et d'affection, de quoi l'empêcher d'en manquer, et sans que le tout ne soit trop étouffant. De toute façon, elle avait toujours eu un caractère bien trop fort et bien trop déterminé pour se laisser réellement imposer quoi que ce soit. Alors, lorsque, ces rares fois, elle s'était cassée les dos sur un os trop dur à ronger, même pour elle, et bien cela n'avait jamais pu que la laisser frustrée, furieuse et revancharde. Non sans que sa mauvaise foi et ses bouderies ne se manifestent. Et parmi ces grandes barrières qu'on lui avait mises sur le chemin sans qu'elle ne puisse les faire tomber, il y avait le mariage de sa mère. Ou plutôt son remariage. Pour sur, cela avait fait beaucoup de remous, y compris au sein de la famille maternelle de Satyne, pas plus satisfaite que les Whalberg de voir Anya s'unir à un Rouge, sans avoir demandé son avis à personne. Cela avait poussé Viktor à refuser de tout son poids de lui confier de nouveau l'éducation de Satyne et de son frère Oliver, elle qui les avait lâchement laissée derrière elle, en partant pour Aureus, après s'être coupée d'eux suite à son veuvage, quand Logan avait lâchement été assassiné par l'Ordre. Mais quand Viktor, ce grand-père adoré et adulé, avait succombé au temps et à la vieillesse, Satyne n'avait rien pu faire. Oliver était devenu le nouveau patriarche, venant avant leur oncle Maximilian dans la ligne de succession. Il avait choisi de rejoindre le domicile leur mère et leur beau-père à Aureus, et, encore mineure, la jeune femme n'avait pu s'y sous-traire. Cela demeurait encore une épreuve la marquant au fer rouge, quelque chose dont Romilda avait parfaitement conscience. En cette occasion, les deux jeunes femmes s'étaient encore plus rapprochées, et jamais la jolie blonde ne serait suffisamment reconnaissante à son amie d'avoir été là pour elle. D'avoir persiflé avec elle, d'avoir parfaitement compris son ressenti. D'avoir saisi, aussi, à quel point être mutante n'était pas toujours aisé.

Quand Satyne s'était unie à Luke Kolikowski, il avait été évident pour elle que Romilda avait sa place à ses côtés, en ce jour si particulier pour elle. Reléguant sa mère loin, très loin dans l'organisation et le déroulé de ses noces, et ce sans une once de regret ou de culpabilité, la jeune femme avait choisi de s'appuyer sur les Whalberg, ainsi que sur ses deux meilleures amies, Leia et Romilda. De longs mois s'étaient écoulés depuis, et Satyne avait quelque peu commencé à garder certaines choses pour elle. Ou plutôt avait-elle perduré, refusant de mettre en danger ses plus proches amies en les embarquant dans toutes ces histoires avec les Perles, et particulièrement avec Sylar. Elle serait capable du pire si ce dernier s'avisait de toucher à un seul de leurs cheveux, et ... Et mieux valait qu'une telle situation ne survienne jamais, car les temps étaient déjà suffisamment compliqués comme ça. Mais elle en était sure, elle en était convaincue, Satyne : elle serait réellement capable de tout pour défendre et protéger Romilda. Et cette certitude ne pouvait être que confirmée dès qu'elle posait les yeux sur sa meilleure amie. Et même si Luke n'avait presque rien à voir là dedans, dans ces sordides histoires, présentement, elle ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir de l'avoir retardée et donc privée de précieuses minutes en présence de Romilda. « Voilà une bonne chose, même si j'aurais tout de même préféré arriver à l'heure ... » Elle plisse alors le nez, signe caractéristique de cette pique mentale qu'elle envoyait à son cher époux, responsable de son retard. Mais elle passa vite à autre chose, Satyne, comme elle savait si bien le faire. Certains en venaient alors à penser qu'elle était inconstante et incompréhensible, là où d'autres allaient jusqu'à la penser trop versatile. Qu'ils pensent présentement ce qu'ils voulaient d'elle, elle s'en fichait éperdument. Etre en présence de sa meilleure amie étant en effet tout ce qui lui importait. Attrapant cette tasse que lui tendait Romilda, elle y plaqua ses deux mains avant de lever outrageusement les yeux au ciel. « Son cher cousin Noah avait besoin de lui. Tu sais comment sont les Kolikowski et leur sens du devoir, tout ça tout ça ... J'ai tout de même dû le convaincre de me laisser sortir du château. Visiblement, selon lui, tu n'arrives pas encore à la cheville de l'armada des hommes au service de Léonidas, formés au combat pour protéger les membres de la Ligne Kolikowski ... Je préfère t'avoir toi à mes côtés plutôt qu'eux. Ils ne sont guère amusants, et très souvent , je crois que je leur casse les pieds. » Un sourire moqueur s'accrocha à ses lèvres, alors qu'elle songeait à ces sales coups qu'elle pouvait également faire aux hommes des Kolikowski.