Le départ pour Chromin aurait lieu le lendemain, une effervescence presque sâcrée se répandait dans les couloirs du grand palais depuis quelques semaines, enflant chaque jour un peu plus, l'air chargé de la bataille à venir, d'un mouvement vers l'avant, enfin. Personne n'en rescapait, on l'entendait jusque dans le chuchotement des serviteurs, jusque dans l'atmosphère électrique qui régnait.

Et si Cassiopée resterait dans le chateau des Sielle, bien plus en sécurité et utile à l'arrière lui avait assuré Pavel quand la princesse Xi'Nora avait demandé si elle ne pourrait pas apporter son expertise médical sur le terrain ; son esprit et son coeur lui semblaient déjà s'envoler vers les terrains belliqueux qui bientôt se rempliraient d'un sang argent.

Au milieu de tous ces soldats sans visage pour lesquels son myocarde battait d'inquiétude, une tête aux boucles blondes ressortait de la foule. Des yeux d'un bleu azuré dont la chaleur d'autrefois s'étouffait sous la paleur de leurs dernières rencontres. Cassiopée ne pensait pas à lui, tentait-elle de se répéter vainement. Tous les soldats ne prennaient pas son visage dans les cauchemars qui l'envaillissaient la nuit - tombant les uns après les autres sur un échiquier géant, les cases noires et blanches se colorant d'un argent poisseux.

Elle ne savait ce qui l'angoissait le plus, la facilité avec laquelle elle était capable de se convaincre ne pas laisser ses pensées s'envoler vers lui à la moindre occasion, que malgré tout ce qu'ils s'étaient dit, il faisait irrémédiablement partie d'elle ou qu'elle ne pourrait pas lui faire un au revoir qui serait peut-être le dernier.

Cassiopée avait donc plus que jamais sauté sur la possibilité de se perdre dans toutes les tâches qu'on lui accordait. Son époux ayant accepté sa requête de reprendre son métier au moins pour un temps, avec la demande qu'elle ne se mettrait pas en danger, la médecin passait une partie de son temps à l'hôpital et le reste à vaquer à diverse occupations que l'on attendait d'une future reine.

Elle rentrait de plus en plus tard, il était de toutes façons bien difficile de voir le temps passer maintenant que le soleil n'apparaissait plus. S'occupant l'esprit autant que les mains pour toujours éviter les appartements du Jenkins, et la possibilité de le voir, priant sa déesse continuellement pour qu'elle le mette sur son chemin.

Verane ne semblait pas prête à lui accorder cette vaine prière.
Jusqu'à ce soir. La veille même du départ pour Chromin.
Aussi miséricordeuse que cruelle était la déesse de la passion.

Cassiopée sortait d'un énième long et ereintant shift à l'hôpital, tous ses muscles criaient au repos, à l'appel de son lit mouelleux mais glacial qu'elle partageait maintenant avec son époux. Une barrière séparant leurs deux corps qui n'avaient pas encore fait le pas de se rapprocher, même dans l'intimité de leur chambre, même au plus coeur de la nuit sous la bienveillance de lune. Il était son époux, mais lorsque leurs doigts se frôlaient, elle avait l'impression de tromper un autre ; elle s'en voulait de sa faiblesse, se reprocher les élans de son coeur.

Elle marchait lentement dans les rues presque désertes de la ville, ses yeux se posant sur les lieux qui lui paraissaient encore étrangers, sur le ciel étoilé incessant. Ses pas ne semblaient pas pressé de la mener jusqu'à sa maison qui n'en portait que le nom mais n'en avait pas la saveur. Ce fut à ce moment que Verane décida d'accéder à sa requête silencieuse. Ce fut alors qu'elle le vit devant elle.

Au détour d'un croisement, elle le sentit avant de le voir. Ses pas s'altérèrent avant de s'arrêter complètement. Sa main se porta à sa poitrine, comme à chaque fois qu'elle le rencontrait ces derniers temps. Son souffle se coupa. Cassi hésita, l'espace d'un soupir et d'un battement. Il ne l'avait pas aperçu, semblait perdu dans des pensées tumultueuses dont elle n'avait plus la clé ; elle aurait pu le laisser la dépasser. Elle aurait pu prétendre ne pas l'avoir remarqué. Sa raison lui criait de rester en arrière, de ne pas céder au désir brûlant de cette passion essouflée.

Mais la raison ne l'avait jamais emporté quand il s'agissait de Cygnus.
C'était peut-être la dernière fois qu'elle le verrait. S'il ne revenait pas, Cassiopée s'en voudrait pour toujours de ne pas lui avoir dit au revoir.
Poussée par cette fausse rationalisation, Cassiopée avança de quelques pas, brisant la distance entre son corps et celui du soldat.

"Cygnus?" Sa voix perça le silence épais de la rue sombre. Silencieusement, Cassi remercia sa déesse qui dans sa magnanimité avait mis son ange déchu sur ses pas. il n'y avait donc rien de mal à se laisser aller à cette parenthèse si tel était le désir divin. Oh comme son esprit scientifique et carthésien était capable des plus perfides détours quand il s'agissait de se convaincre de bien fondé de ses actions.

Elle planta les noisettes de son regard dans l'azur embrumé de Cygnus, et le sourire qui avait coloré ses traits malgré elle se figea en ressentant le trouble de son ancien amant. "Is .. Are you alright?"

Une fois encore, Cassiopée avait l'impression qu'ils se trouvaient à la croisée des chemins aussi bien littéralement que métaphoriquement. Et son coeur battait à tout rompre, et elle était aussi immobile que possible alors que sa main la démangeait d'attraper celle de Cygnus pour prendre avec elle un peu du désorde qu'elle apercevait sur son visage