La petite se faufile jusqu'à la chambre de ses parents, pour apercevoir sa maman, paisiblement endormie. Puis elle rebrousse chemin et se rend jusqu'à la nurserie, où le poupon né la veille se fait bercer par une nourrice. Et plusieurs minutes passent sans que sa présence ne soit remarquée, alors elle observe silencieusement la scène, avant que le sourire de la dame ne la fasse se coller contre le montant de la porte, qui cache maintenant son visage de moitié. Approchez-vous mademoiselle, qu'elle susurre comme un mot doux. venez-voir comme elle est belle. La fillette fait un pas timide, puis un deuxième pour sortir de sa cachette, avant de coller son dos contre le mur à l'intérieur de la pièce - toujours loin d'elle. Elle vous ressemble beaucoup vous savez, mais je suis sûre que je ne suis pas la première à vous le dire. Elle caresse la joue du nourrisson, avant de relever brusquement la tête quand la petite brunette l'accuse : Vous mentez, qu'elle assène en croisant ses petits bras contre sa poitrine, qui se soulève un peu trop vite. Que Valdios m'en soit témoin mon enfant, qu'elle rétorque, amusée. votre petite-soeur est aussi ravissante que vous l'étiez le jour de votre naissance, et elle est votre portrait, comme vous étiez celui de votre grand-frère. La petite se perd quelques secondes dans ses pensées, et l'on devine rien qu'en regardant ses mimiques que sa tête est pleine de questions. Moi je ne la trouve pas belle du tout, qu'elle finit par répondre, en laissant retomber ses bras contre ses flancs. parce qu'elle ressemble à la dame qui nous fait la cuisine. Et qui lui donne des bonbons en cachette, ce qui ne suffit pas à rendre le regard qu'elle pose sur l'employé de maison moins circonspect. Ni celui qu'elle offre au poupon, que sa voix montant un peu trop dans les aigu vient de réveiller. Elle est toute rose elle aussi, et je ne crois pas que ce soit normal. En tout cas elle ne me ressemble pas du tout, ni à Noah. Ce n'est pas notre soeur. Interloquée, la femme ne réponds pas. Mais ses yeux s'écarquillent et elle cherche un peu de soutien dans ceux de Jeremy Sielle, qui vient de faire irruption dans la pièce. Je m'en occupe, Simone. Et la fillette se jette dans les bras de son père, qui se contentera de la mettre au lit en déposant un tendre baiser sur sa joue, et en laissant Devona se charger des mots.

Il y a Rakan qui fait une mauvaise blague sur son oncle, et tous les sourcils qui se froncent en sa direction - quand elle, tente non sans peine de camoufler ses ricanements. Mais la discussion reprend vite, sans intérêt comme d'habitude et comme si le jeune homme n'avait absolument rien dit. Parce qu'ils ont tous hérité de dons théâtraux autour de cette table, et cette manie de foutre un mouchoir sur tout frustre la jeune mariée depuis qu'elle la partage. Parce que les Dieux savent, aussi bien que ces deux petits diables qui échangent discrètement un regard, que les premiers à s'offusquer n'en pensent pas moins. Et qu'il y en aurait des choses à raconter sur tous ceux qui font semblant de ne pas l'entendre, et combien d'autres soucis sur lesquels s'épancher de l'entrée jusqu'au dessert et ce, durant au moins un mois entier. Mais ils restent muets les Gavon et préfèrent forcer les sourires, ils n'arrêtent même jamais de montrer leurs dents alors qu'aucun ne peut voir son voisin de tablée. Et si l'insouciance de la jeune fille fait qu'elle s'en moque gentiment, la main d'Hiram qui vient discrètement pincer sa cuisse la force à reprendre son sérieux. Aussi le soupir qu'il laisse filer, parce que ces gamineries récurrentes le fatigue. Et elle boude comme à chaque fois, mais avec le sourire, parce que c'est une Gavon maintenant et qu'elle apprend vite. Notamment de l'homme assis en bout de table, Gabriel, dont elle croise le regard et qui la toise d'une manière presque paternelle - quand elle devine des fusils dans celui de sa fille, la petite Lys. Mal à l'aise, elle se mord l'intérieur des joues en l'imaginant pester pour elle-même et une vague de chaleur monte jusqu'à son crâne quand elle remarque que Lucilda elle aussi la guette, du coin de l'œil, alors que la discussion porte sur la fête des ancêtres. Est-ce qu'ils sentent tous l'argent filer à toute vitesse dans ses veines ? Peut-être n'en ont-ils rien à faire à l'image de Marcus et son regard perdu dans le vide, ou des autres gamins qui sont bien trop jeunes pour comprendre qu'elle n'est qu'une pièce rapportée en cette salle à manger. Vous reprendrez bien un peu de viande ma douce ? Lui souffle Althea qui la fait sursauter, mais qui n'est pas loin d'être la seule qui ne lui rappelle pas qu'elle n'est pas ici chez les siens. S'il vous plaît, qu'elle répond l'estomac déjà plein. Parce que l'on ne rétorque pas ici, et que l'on ne ne se permet pas de répondre par la négative à un Gavon, ne fut-ce que pour un petit bout de viande et quelques tomates qui baignent dans la sauce.

Il y avait ces gamins qui manipulaient la lumière. Ils étaient plus âgés, plus grands et bien plus forts que la petite-fille qui se blottissait contre son grand-frère, parce qu'elle craignait plus que tout l'obscurité. Il y avait ces gamins ouais, dont elle peut encore peindre le portrait et qui depuis peu troublent de nouveau ses nuits. Ces gosses qui avaient la fâcheuse manie de semer le trouble partout où ils allaient, pour se rendre intéressants, pour faire rire la galerie et arracher des larmes aux plus petits. Parce que ça les faisait rire ces gamins, ces saletés de gamins qu'elle fuyait comme la peste jadis et qui lui filent encore des sueurs froides aujourd'hui. Il faut que je vois Noah. Ses phalanges agrippent fermement la balustrade de son balcon, et son regard se perd sur l'horizon, sur tous ces petits points de lumières qui commencent à vivre alors que la nuit tombe. Sous laquelle de ces lampes les ombres préparent-ils leur plan macabre, au coin de quel feu façonnent-ils leur vendetta ? Elle sent le métal fondre sous ses doigts alors que ceux de l'époux se referment sur ses épaules, et que ses lèvres viennent embrasser son cou. Rentrons, il commence à faire froid. Qu'il susurre à son oreille tout en laissant glisser ses mains le long de son buste, mais elle ne répond pas. Aveuglée par la colère, elle ne l'entend même pas. Elle ne perçoit pas son soupir, ni même son corps qui se détache. Est-ce qu'un jour, tu m'accorderas au moins autant d'importance qu'à ton frère ? Ce n'est pas pour le rassurer qu'elle se détourne d'Aureus, mais parce qu'il vient de nommer le seul être dont elle voudrait les bras, les paroles rassurantes et le regard apaisant. Et elle ne prend même pas la peine de le cacher. Il connaît ce regard. Il sait si bien lire en elle et elle en lui, alors elle sait aussi. Elle se sait lâche. Elle se sait égoïste. Elle se sait ingrate. Arrête ça, tu sais très bien que tu comptes autant que lui à mes yeux. C'est elle qui s'approche cette fois, mais lui qui impose cette distance par le timbre de sa voix. C'est faux. Son cœur pourrait imploser, tout de suite, maintenant. Se répandre à ses pieds, et déverser le flot de honte et de rage qu'il contient, mais il n'en fait rien. Il se contente de battre si fort que des étoiles naissent sous ses paupières fermées. C'est faux et si tu penses le contraire, c'est que tu te mens autant qu'à moi. La déception se mêle à la colère pour déformer les traits du Gavon, alors elle ploie les genoux. Elle se laisse tomber. Elle voudrait implorer son pardon, mais aucun mot ne s'échappe. Même de ça, elle en est incapable. Relève-toi. Qu'il crache plus qu'il demande, sans contrôler la force avec laquelle il agrippe les avants-bras de sa bien-aimée. L’œil est fou. Fatigué. Lâche-moi, qu'elle répond d'une voix troublée par les sanglots. tu me fais mal. Lasses. Ils le sont tous les deux de ces interminables disputes qui éclatent pour un oui, ou pour un nom. Tu n'es qu'une gamine Arabella, une gamine bête et capricieuse qui vit dans un monde chimérique. Ses sentiments ruissellent finalement hors de ses yeux, et lui écrasent le visage tandis qu'elle imagine toutes les horreurs qui se bousculent dans le crâne de son mari, alors qu'il s'éloigne et revient. S'éloigne et revient encore. Grandit je t'en prie. Il attrape ses mains, et la rejoint sur le sol humide de la terrasse. Arrête de suivre aveuglément ton frère dans ses délires narcissiques et surtout arrête de croire à tout ce qu'il te raconte. Ce ne sont que des conneries, les mêmes contes de fées auxquels il te faisait croire quand tu n'avais que trois ou quatre ans. Elle ne veut plus lui mentir, alors elle s'enferme dans un mutisme agaçant. Il ne veut pas la comprendre. Elle ne veut pas l'écouter. Dialogue de sourds. Ils sont les acteurs d'une tragédie qui enchaînent les actes, à bout de souffle. Et la dernière scène sera épique, fantasque. Elle sera belle et pathétique, puissante et malheureuse. Elle sera à l'image de leur couple. Le monde ne tourne pas autour de toi Arabella, et il ne s'arrêtera pas de tourner parce que tu n'as pas de couronne sur la tête ou parce que ces imbéciles de Zarkari reviennent à la vie. L'intonation, elle est redevenue douce. Et les lèvres de l'amant s'étirent légèrement, mais elle sent la force de sa colère se répandre sous sa chair, alors elle rompt le contact et se relève. Il l'imite. Toi et Noah, vous êtes les mêmes. Qu'il vocifère. Deux paranoïaques qui vont réussir à se mettre la terre entière à dos. Et elle passe le reste de la nuit lovée dans un fauteuil à remplir et remplir encore un verre qui lui semble toujours trop vide, quand lui ne revient au domicile conjugal qu'au petit-matin. Et ils se réconcilient, enivrés, sur l'oreiller. Dans l'attente de la prochaine crise et de celles d'encore après, qui ne cesseront de ronger leur solidité.

Comme si c'était le mien, sont les derniers mots qu'elle a prononcés, avant de prendre le volant d'une voiture que l'un des hommes de main de son frère lui a confié. Ils n'étaient pas vraiment destiné au Sielle, et ce bien que c'est dans ses prunelles à lui que les siennes se perdaient. Puisque c'est sur ses traits qu'elle voulait lire, et uniquement au travers de ceux-là qu'elle désirait se rassurer et s'assurer que tout irait pour le mieux. Les voix des mercenaires n'étaient qu'un brouhaha sans importance à ses oreilles, autant que les directives des combattants auxquelles elle regrette un brin de ne pas avoir été plus attentives. Et elle ne voulait surtout pas voir les larmes de ceux qui disaient au revoir, les femmes, les enfants et les plus faibles qui comme elle, ne prendraient pas part aux affrontements. Elle n'a parlé qu'à son frère et sa femme, avant qu'ils ne passent tous la frontière de ce qui deviendra l'ancienne capitale. Et si elle n'avait pas besoin de les lui dire à lui ces mots, lui non plus n'avait pas besoin de les entendre, mais elle. Nysa et sa froideur, et sa fierté, et l'intensité de l'amour qu'elles se portaient qu'elle a dû bazarder depuis des lustres dans les tréfonds de son subconscient. Elle voulait la rassurer, même maladroitement, et même si elle savait que nulle phrase n'aurait pu faire taire les craintes qui - elle l'imagine - ont du enserrer les entrailles de la louve au moment où elle et Nathanael ont pris la route. Mais elle n'a aucune idée de ce que ses mots ont provoqué dans l'esprit de la mère, ni même si c'est la réponse que son cœur attendait quand son époux a murmuré à sa soeur de prendre soin de la chaire de leurs chaires - qu'elle observe au travers de son rétroviseur, tout en gardant un œil sur ce chemin de campagne qu'ils empruntent depuis des heures. Il fait semblant de dormir. Elle le sait, parce qu'elle faisait exactement la même chose quand elle avait son âge, et qu'elle était en colère, ou triste, ou les deux à la fois. Mais son âme est encore si pure et candide, qu'il lui semble impossible que le petit se demande si ce n'était peut-être pas la dernière fois que ses parents le prenaient dans leurs bras. Et pourtant c'est un fait, qui lui retourne l'estomac. Elle voudrait s'arrêter et lui souffler à l'oreille que tout ira bien, mais elle aurait peur de l'inquiéter, et de lui transmettre l'angoisse qu'elle parvient à lui cacher uniquement parce qu'il se trouve sur le siège arrière. Et elle ne devrait même pas conduire à cause de toutes ces choses qui filent dans sa tête : son frère, les combats qui s'en viennent et son époux à qui elle ne pourra peut-être jamais demander pardon. Mais il était hors de question qu'elle se fasse balader comme les autres femmes et leurs enfants, car même le militaire possédant les plus belles décorations ne reste qu'un inconnu portant une arme qu'il pourrait retourner contre eux. Alors ses mains enserrent le volant et son pied garde une pression constante sur l'accélérateur. Et au cours des vingt-quatre heures de trajet, elle ne fermera pas une fois les yeux. Et ne s'arrêtera que six ou sept fois, pour que le petit se dégourdisse les jambes, et qu'il cueille un joli bouquet de fleurs pour sa maman.