17 MAI 2677
☽ OTHINARA, KAREZ.

Les bruits s'effaçaient au loin tandis que les yeux de Cad se heurtaient à chaque coup de paupière. Gisant sur le sol à la merci de son propre sang, le chaos autour de lui reflétait les maux qui le frappaient à la second même. Alors qu'il dirigeait sa troupe, une explosion avait tout simplement surgi de nulle part et avait envoyé la plupart de ses hommes à terre, lui compris. Son dernier souvenir était le cri d'un enfant dont les pleurs exprimaient autant la peur que le désespoir. Ces cris, il les entendait à présent dans le fond de sa tête, de cet esprit qui n'arrivait pas à se ressaisir, dans ce corps qui ne parvenait pas à se relever. La douleur était impossible à dissimuler, son visage grimaçait à chacun de ses moindres mouvements tandis qu'on criait son nom au loin.  Il ne pouvait pas rester là, il ne pouvait pas succomber à ses blessures ni tomber dans l'inconscience de la peur. Cad devait se relever pour le bien des citoyens de Karez et pour son devoir, son honneur.  

— Cad! Cad! reviens à toi Cad! criait une voix au loin.

Taran.   Taran l'appelait, le suppliait de survivre et de se relever. Pour la première fois, il avait l'impression de deviner de la crainte et de l'angoisse dans la voix de son aîné. Cad, pris d'un miraculeux élan, se remit debout tandis qu'il criait de douleur, son bras ayant gravement été touché. Encore assommé, la fumée et la foule qui se ruait à la recherche d'un abri tournoyaient ensemble telle l'image d'un enfer sur terre. Passant sa main sur sa tempe, Cad se concentra un instant et réunit ses forces afin d'avancer, là où il le pouvait.

— Je te tiens Cadelan. prononça Taran, venu sauver Cad des ombres qui tourmentaient le Haven.  Il passa avec empressement le bras du blessé par dessus sur épaules pour le soulever et l'aider à ternir debout.

La honte et le désarroi vinrent alors submerger le jeune Haven qui ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir d'être un si lourd poids en cette heure abyssale. Taran  tirait son jeune frère tant bien que mal vers une ruelle isolée en attendant les renforts. Cad savait qu'ils ne pouvaient pas rester là, ils devaient servir leur cause, sortir de là et aider les habitants de Karez victimes de ces infâmes attentats. Tandis que Taran formait un bandage à partir de l'uniforme déchiré et souillé de carmin de Cad, une ombre pernicieuse apparut derrière les deux frères. Cad ne reconnaissait nullement cette personne mais il ne lui fallut que très peu de temps pour le percevoir comme un ennemi. De ses forces récentes, Cad tira sur l'inconnu qui fut touché à l'épaule, cédant à un cri de douleur étouffé par le brouhaha qui engloutissait la ville.  Il s'approchait alors tel un dogue enragé, jurant sur son sang qu'il ne laisserait nullement ni Taran ni Cad s'en sortir ainsi. Cad était effrayé. Jamais n'avait-il été confronté à une telle violence, une telle agressivité, à un enfer tel que celui dans lequel il était le pantin actuellement. Bercé dans un cocon d'immunité, jamais aucune de ses missions militaires n'avait été comme celle-ci; jamais ne s'était-il attendu à ce que des supplices pareils ne frappent Akkadia.  Toute sa vie il avait attendu ce moment où il allait servir son pays avec fierté, honneur et force ; et pourtant, au moment venu, la peur l'avait paralysé.

Taran se relevait, adressant un regard conciliant à Cad sans savoir que cela serait son dernier. S'engageant dans un combat sans merci contre ce qui se révélera plus tard être un membre des Silences, le rouge se défendait tant bien que mal contre cet être gracié par le pouvoir d'un Dieu. Taran vint toutefois à la blesser mortellement, faisant tomber le bourreau à terre tandis qu'avec son dernier souffle, celui-ci transforma un morceau de roche en un poignard qui vint directement se planter dans le coeur du fier Haven. Les yeux de Cad devinrent noirs de colère et de chagrin lorsqu'il vit son frère aîné tomber à terre, succombant à sa blessure. La douleur était trop forte et le prenait de plein fouet, le poussant à le se lever pour s'agenouiller auprès du corps inerte de celui qu'il avait toujours vu comme une figure paternelle. La vie avait quitté Taran Haven tandis que l'espoir s'essoufflait dans le coeur de Cad. Dans un mélange de pleurs et de rugissements étouffés, le rouge en deuil retira la lame de Taran et se jeta sur le mutant déjà fortement mutilé pour le poignarder sans relâche, encore et encore, jusqu'à son sang rouge taché d'argent vint à tacheter le visage tiraillé de Cad.

— Cad! T-Taran... murmura Faelyr qui venait de les trouver.

Les dernières larmes de Cad s'étaient mélangées au sang du mutant qu'il avait achevé  sans regrets. Son regard était vide tandis tout autour de lui semblait perdre son sens.

— Il l'a tué Fae. Il l'a tué... Taran... balbutiait Cad.