Elle avait fait passer le message aux gardes. Tell His Majesty I wish to see him. It's really important. Elle avait insisté sur ces derniers mots. Elle espérait que la curiosité associée à une telle requête le pousserait à venir à sa rencontre. Pourtant, Nysa ne savait que trop bien comment son époux pouvait être. Elle le connaissait, et la fierté qui était la sienne aurait très bien pu l'empêcher d'accéder à sa demande. Ici, dans sa chambre, elle ne pouvait rien faire de plus, si ce n'est causer des problèmes en espérant attirer son attention, mais aussi sa fureur. Et dans de telles circonstances, il serait moins à même d'écouter ce qu'elle avait à lui dire. Alors elle avait patienté, et espéré qu'il vienne, jusqu'à cette soirée.

Les portes s'ouvrent sur la silhouette du roi, et Nysa, assise face à sa coiffeuse, déjà vêtue de son peignoir en satin, s'empresse de se redresser lorsqu'il entre dans sa chambre. Son regard se pose sur son visage, marqué par les soucis plus que par la fatigue. Les sourcils froncés, il lui renvoie son regard sans rien laisser transparaître de ses émotions. Comme si son visage avait été taillé dans le marbre, lisse et froid. Envolée la vulnérabilité dont il a fait preuve peu de temps avant de l'enfermer ici. Leurs sentiments, oubliés, rejetés dans les bas-fonds, dissimulés par les mensonges qui sont venus les séparer, définitivement. A la simple vue de Noah, la louve sent son cœur se serrer dans sa poitrine. Pourtant, si elle lui a demandé de venir la trouver, ce n'est pas pour plaider sa cause, ni même pour essayer de faire renaître les sentiments qui sont toujours là, elle l'espère, bien enfoui derrière le métal qui protège son cœur. Non, si elle lui a demandé de venir, c'est pour des raisons qui les dépassent tous les deux. Nysa a eu le temps de réfléchir, peut-être même un peu trop. Les rêves, l'apparition, elle s'est penchée dessus pendant des heures à tenter de comprendre le sens caché derrière les images et les paroles. Ce sont les Dieux qui cherchent à s'exprimer, elle en est désormais certaine. Et si le message qu'ils tentent de lui faire passer n'est pas encore totalement clair, elle pense avoir réussi à deviner certaines choses. Mais seule, elle n'est capable de rien. Et même si elle sait que sa parole n'a pas beaucoup de valeur pour le Sielle, elle espère qu'il saura voir la véracité de ses propos, qu'il parviendra à percevoir la certitude qui brille dans ses prunelles. Ou peut-être pensera-t-il simplement qu'elle tente de le manipuler, une fois encore. Ou alors que les semaines d'enfermement lui ont fait perdre la tête. Après tout, même la louve n'est pas certaine de ne pas être devenue folle.

« Merci d'être venu. » Elle fait quelques pas pour avancer vers le centre de la pièce, tout en gardant une distance entre Noah et elle. Elle sent la méfiance émaner de son époux. Peut-être pense-t-il qu'elle l'a attiré ici pour le tuer. Mais commettre un tel acte signerait aussi sa fin à elle, et Nysa n'a aucune envie de mourir. Pas plus qu'elle ne souhaite assassiner son époux, en vérité. Pourtant, elle sait que personne ne la croira sur ce point là. « J'avais besoin de te parler, de choses importantes. » Elle enchaîne rapidement, pour ne pas lui laisser le temps de protester ou de s'éloigner. Elle a besoin qu'il écoute ce qu'elle a à dire. « Est-ce que tes rêves ont continué, depuis novembre? » Est-elle la seule dont les rêves ont changé, évolué? Est-elle la seule que les Dieux ont cherché à approcher alors qu'elle était éveillée? Elle a besoin de savoir, besoin de connaître ce que Noah pense de tout ça.

On était venu lui dire que la reine voulait le voir. Ce n’était pas la première fois qu’on lui remontait des actions de la brune, des actions qui auraient pu le faire venir jusque dans sa chambre, mais il n’avait pas bougé d’un iota, bien trop blessé pour aller à la rencontre de son épouse. Souvent, Noah pensait être sur le point de changer d’avis, de la faire exécuter pour trahison. A chaque fois il allait voir Nathanael, et le petit garçon lui demandait des nouvelles de sa mère. Une mère dont il avait besoin, alors en attendant de savoir que faire d’elle, il devait la garder en vie. Pour Nate.
Et puis pour lui aussi, un peu.

Parce qu’au fond le Sielle n’était pas prêt de voir la brune subir son courroux. Pas celui-ci, du moins. Quelque part, au fond de lui-même, l’espoir de pouvoir oublier ce qu’elle avait fait était toujours présent. Impossible à réprimer. Et plus les jours passaient plus Noah tanguait entre cette colère qu’il ne parvenait pas à calmer, et le manque d’elle à ses côtés. Mais tout roi qu’il était, il se devait d’être prudent. Pardonner Nysa, c’était faire preuve de bêtise, d’imprudence. C’était oublier que non seulement son fils et sa famille, mais tout un peuple comptait sur lui. C’était lui donner l’opportunité de réaliser ses desseins, de parvenir à ses fins les plus macabres. Et incapable de démêler le vrai du faux, des sentiments du jeu d’actrice de la brune, Noah avait pris parti de ne rien croire de ce qu’elle avait pu lui dire. Et même si ses mots restaient ancrés dans son cerveau, le brun était persuadé qu’elle s’était jouée de lui. Il avait laissé entrevoir les craquelures de son être, avait laissé passer le regard de la belle jusqu’au plus profond de lui, qu’elle voit ce qu’il y avait derrière la façade d’un héritier façonné par le métal. Il s’était livré, alors qu’elle voulait se débarrasser de lui.

Alors désormais qu’il se rendait vers la chambre de son épouse, Noah était déterminé à ne pas laisser transparaître la moindre faiblesse, le moindre sentiment. Il s’était forgé une armure semblable à celle qu’il portait sur les champs de bataille, et se rendait à un énième combat. Peut être que c’était la discussion dont il avait besoin pour tourner la page. Prendre une décision. La condamner, enfin, vraiment.

Le roi ouvre la porte, et la referme derrière lui. En face de lui, celle qui est toujours reine se lève de sa chaise, et l’observe. Il pourrait la faire tomber dans l’oubli, si il le voulait. Séparer sa tête de son corps, et libérer son annulaire d’un serment qu’on l’avait forcé à faire, voilà des années auparavant. Il pourrait alors en choisir une autre, n’importe laquelle… Quelle femme ne voudrait pas devenir reine, après tout ? Il pourrait même décider que cela soit Kristina, si tout n’avait pas irrémédiablement changé en quelques huit années.

« Estime toi heureuse, j’ai d’autres choses à faire que de venir te faire la conversation. » Noah ne croise pas les bras, une de ses mains est dans la poche de son pantalon et l’autre repliée devant lui, sur son abdomen. Il observe l’épouse en attendant qu’elle parle. La question le déstabilise, lui qui s’attendait à tout sauf à ça. Un instant seulement, ses traits s’adoucissent, alors qu’il tente de comprendre l’objectif de cette interrogation. Le Sielle se reprend rapidement, cependant, et tandis qu’il la regarde s’approcher, il ne bouge pas d’un pouce. « Pourquoi ? », la suspicion est présente dans la voix du roi, qui finalement fait un mouvement d’un pas, son regard tombant sur les jambes de Nysa. Il sait que si elle a rêvé récemment, elles seront rouges… Mais ce n’est pas le cas. La cicatrice sur son visage à lui, par contre, est toujours présente mais n’est pas à vif : signe qu’il n’a plus eu de rêve depuis quelques jours, mais pas depuis novembre. « Oui, le dernier remonte à quelques jours. » Noah est impatient, ce qui ne lui ressemble pas. Il ne veut pas séterniser, le parfum qui règne dans cette pièce est entêtant, parce que c’est le sien, et cette robe de chambre qui dévoile si simplement des formes qu’il connait par coeur. Noah garde cependant son regard planté dans celui de sa femme. Il l’entendra, et puis partira, et c’est tout. « Dis moi ce que tu as à dire. »

Nysa encaisse, elle ne relève pas le commentaire de son époux, ne s'arrête pas à ça. Elle poursuit, amorce la conversation avec une question qui semble déstabiliser le Sielle. S'il est surpris par la tournure de cet échange, il se ressaisit vite. La louve suit son regard qui tombe sur ses jambes, couvertes en partie par la robe de chambre qui tombe sur ses cuisses. Elle comprend où il veut en venir, ce qu'il cherche à savoir. Ses jambes ne sont plus rouges, ne l'ont plus été depuis quelques jours, lorsque les rêves ont cessé. Tout comme le reste, les brûlures - qui ont tout de même laissé leurs marques sur sa peau - les lèvres bleues, l'armure, rangée désormais dans un coin de sa chambre. Elle n'a pas disparu lorsque les rêves ont cessé, alors Nysa la conserve précieusement comme la preuve de ce qui lui est arrivé. Si les autres peuvent la voir, la toucher et la porter comme elle, alors tout ça est bien réel.

Finalement, Noah poursuit, lui offre une réponse à sa question. Puis il la presse de poursuivre, elle le sent dans le ton de sa voix, dans le langage de son corps. Pourtant, la louve se surprend à espérer qu'il reste un peu plus longtemps. La présence du Sielle l'apaise, malgré tout ce qui a pu se passer entre eux. Elle lui donne de l'espoir, presque, que tout pourrait finir par s'arranger. Car il est venu, après tout, non? Elle sait que cet espoir est dangereux, et surtout stupide, mais elle ne peut s'en empêcher. Un espoir qui finira par la consommer lorsqu'elle réalisera que jamais Noah ne lui pardonnera ce qu'elle a fait, que jamais il ne lui ouvrira à nouveau son cœur. Elle aimerait pouvoir le faire changer d'avis. Elle aimerait faire durer ce moment, le pousser à rester un peu plus, pour qu'il se rappelle de ce qu'ils avaient, de ce qu'ils pourraient avoir à nouveau, s'il acceptait de lui pardonner. Elle aimerait qu'il ne l'abandonne pas pour une nuit de plus. Une nuit à tenter de trouver le sommeil dans un lit vide, froid. Un souvenir de ces années de mariage passées à se haïr de loin, tout deux dans une chambre de leur grand appartement d'Aureus. Ce qu'elle aimerait redevenir cette femme qu'elle était à l'époque, celle qui se fichait de dormir seule, celle qui préférait ça même, plutôt que de partager son lit avec un homme qu'elle méprisait. Mais c'est impossible. Tout a changé, eux, lui, elle. Les nuits semblent bien longues désormais, sans l'astre solaire pour chasser l'obscurité, et sans le corps de Noah pour réchauffer le sien.

« Moi aussi. Tout s'est arrêté, brusquement. Ou du moins c'est ce que j'ai pensé, au début. » Elle s'arrache finalement au regard du Sielle pour se diriger vers l'armure de son rêve. « En décembre, mes rêves ont changé. Un matin, je me suis réveillée avec ça sur le corps. » Elle ne s'en saisit pas, le métal trop encombrant pour le porter. Elle effleure cependant la surface métallique du bout des doigts, avant de tourner la tête pour regarder Noah. « Et dans mon rêve, ils me sont apparus. Les Dieux, la Fratrie. » Elle a hésité, au début, mais impossible d'être trompée pour elle qui avait vu leurs représentations tant de fois dans des livres ou au temple. « Puis j'ai cessé de rêver. » Sa main retombe le long de son corps, tandis que son regard quitte le visage de son époux pour se poser sur l'encadrement de l'ancien miroir qui se trouvait dans sa chambre. La surface réfléchissante n'existe plus, il ne reste que le métal. « Mais il est revenu me voir. Hioki. Je ne rêvais pas, j'étais réveillée. Il a pris la place de mon reflet dans le miroir. » Elle poursuit, son regard toujours fixé sur l'ancien miroir. La scène se rejoue derrière sa rétine. Elle a l'air presque absente lorsqu'elle poursuit. « J'ai pu le toucher, sentir sa peau du bout des doigts. Et il m'a fait passer un message. Un message qu'il voulait que je partage, je crois. » Un souffle, et elle s'arrache à la contemplation du métal pour venir ancrer ses prunelles sombres dans celles du roi. « Ensemble, nous sommes forts. Séparés, nous ne sommes rien.  » Des mots qu'elle répète avec exactitude, une parole qui n'est pas la sienne mais celle des Dieux, elle le sait. « Puis le miroir a explosé. Et dans chaque fragment se reflétait les animaux des quatre grandes familles. Tigre, loup, aigle et lion. » Puis le silence retombe entre eux. Nysa l'observe, guette sa réaction. Un soupir quitte ses lèvres, elle réalise à quel point elle doit lui paraître folle. « Je sais que ça a l'air fou. Tu dois probablement te dire que j'ai perdu la raison, mais je te jure que je dis la vérité. » Comme si sa parole avait encore une valeur aux yeux du Sielle. Pourtant, elle se doit d'essayer. Elle finit par se rapprocher lentement de son époux, chaque pas semblable à celui que l'on ferait pour approcher un animal sauvage en essayant de ne pas l'effrayer. Ses prunelles brillent sous l'émotion, sous la sincérité de ses mots, la douleur de ses gestes. « Il faut que tu me crois. »

La présence même de son épouse est déstabilisante pour Noah. L’homme tente de ne pas laisser son regard dévier sur elle, ce qui provoque une certaine froideur dans le coeur du Sielle, et une certaine rigidité. Ses membres semblent aussi solides que le titane qui constitue une grande partie de cette bâtisse dans laquelle ils se trouvent. La mâchoire serrée, il observe la Sielle, attendant qu’elle expose l’objet de cette demande de visite.

Et la brune commence son exposé, arrachant son regard du sien, Noah ne sait alors trop où poser ses prunelles et observe plutôt l’armure de métal qu’elle lui montre. Curieux, l’homme réalise alors que la sensation de l’armure est différente à ses sens de magnétron. La colère est remplacée, un instant, par l’intérêt scientifique lié à la maitrise des métaux. Il s’approche sans le réaliser, mais toujours en gardant une certaine distance avec le corps de son épouse. « Tu t’es réveillée couverte de métal ? », et pas n’importe quel métal. Valdios. Othinia. Les époux divins. Noah avait passé des heures à étudier les écrits théologiques et il reconnaîtrait cette armure entre mille. Celle de la déesse même de la famille némésis à la sienne. L’entremêlement de ces symboles, de ces significations n’était probablement pas anodine, mais Noah avait du mal à se laisser convaincre, lui qui n’avait jamais été très pieux. Il ne commençait que tout juste à croire, peut être, en l’existence de dieux. Et encore… C’était difficile à avaler totalement. Et comme si ça ne suffisait pas, désormais Nysa mentionne autre chose : une apparition alors qu’elle était éveillée. Noah tourne le regard vers le miroir qu’elle mentionne, et constate avec stupeur qu’il est effectivement complètement brisé - la vitre a disparue. Ses sourcils se haussent, la froideur de ses membres disparaît car si il n’en reste pas moins en colère, la curiosité est en train de prendre le dessus. En l’écoutant, Noah ne peut s’empêcher de plonger son regard sombre dans celui de son épouse.

Elle lui parle désormais d’un message, passé par Hioki. Noah a du mal à y croire, c’est trop pour lui. Il secoue la tête, mais elle continue tout de même, et plus elle avance dans son discours moins le roi peut y croire. Même le désespoir dans la voix de la reine ne convainc pas le roi, qui l’observe avec une expression agacée, désormais. Elle se rapproche, il ne bouge pas par pure fierté même si il aimerait reculer. Il la toise, désormais, de la vingtaine de centimètres qui les séparent, le rictus peint sur ses traits ne fait aucun doute : elle a usé de sa patience.

«  Comment veux-tu que je te crois avec une histoire aussi tirée par les cheveux, et les mensonges que tu as tissé pendant plusieurs années ? » Le brun secoue la tête et se tourne vers l’armure, seule preuve tangible dans la pièce. Il ne comprend pas en quel alliage elle est faite, et décide alors de se concentrer dessus. Si Nysa l’a faite faire pour appuyer son argumentaire, alors le magnétron ou le forgeron qui l’a faite est réellement doué. Les métaux qu’il comprend dans ce mélange sont tous des métaux extrêmement précieux. Ses doigts se posent sur la surface lisse du poitrail, et glissent vers le bas sur une dizaine de centimètres. Dans sa course, Noah applique une petite pression sur le métal, qui fait des vaguelettes de part et d’autre de son doigt, comme si il avait frotté le doigt non sur du métal mais sur la surface de l’eau. Seulement voilà : faire ça lui a demandé plus de concentration que d’habitude, et le métal fini par reprendre son apparence normale sans qu’il ne fasse quoi que ce soit.

L’armure est forcément d’origine divine. Peut être que Valdios lui-même l’empêche d’altérer l’armure de son épouse, Othinia. De son épouse à lui, désormais, Nysa. Le descendant du dieu stratège déglutit, énervé. Il ne sait pas si c’est l’échec de cette tentative qui lui court sur les nerfs, ou la présence de son épouse, ou les deux. Il se dirige vers la porte, désormais. « C’est tout ? Tu me fais perdre mon temps Nysa, encore. » l’avertissement dans sa voix n’est pas dissimulé, la louve n’a plus le droit de lui faire perdre son temps ainsi, désormais. Qu’il perde patience, et c’est sa vie qu’elle mettra en danger. Le pire c'est qu'au fond... Il la croit, un peu. Les preuves sont là : l'armoire, le miroir... Pourquoi mentir comme ça ? Ca ne lui apporterait rien.

Un instant, Nysa a l'impression qu'elle a réussi à capter l'intérêt de son époux, à éveiller sa curiosité face à cette situation. Il s'approche quelque peu, tandis que la louve hoche doucement la tête. Elle aimerait rajouter quelque chose, faire un commentaire sur l'ironie de la situation, qu'elle, parmi tant d'autres, se réveille vêtue d'une armure de métal. Mais elle préfère s'abstenir et poursuivre son exposé, plutôt que d'alimenter ce feu qu'il tente de contenir mais qui le consumera à la moindre étincelle que la shiver lui fournira.

Puis tout change. L'expression sur le visage du roi se durcit, et la curiosité est bientôt remplacée par un agacement qu'il ne tente même pas de dissimuler. Elle s'arrête à quelques centimètres de lui, plus proche qu'elle ne l'a été depuis des semaines, sensible aux émotions qui se dégage du magnetron. Tout dans son comportement lui intime de ne pas s'approcher plus, et Nysa préfère ne pas tenter sa chance. Noah la toise, il l'observe de sa hauteur, la domine comme il a toujours aimé le faire lorsqu'ils élevaient la voix. La louve soutient ce regard brûlant, méprisant presque, alors qu'il reprend la parole pour anéantir tous ses espoirs. Bien sûr qu'il ne la croit pas, comment le pourrait-il? Un soupir de lassitude quitte les lèvres de la reine, tandis que son époux se détourne d'elle pour s'approcher un peu plus de l'armure. « Pourquoi inventerai-je une telle histoire? » Alors que son regard à lui se pose sur l'objet, celui de la louve s'applique à détailler les traits de son époux, profitant du fait qu'il ne la regarde pas elle pour le dévisager. Mais ses iris ne s'arrêtent pas sur son visage, si familier pour elle. Ils glissent sur ses épaules, le long des boutons de sa chemise, sur sa main qui tente de déformer le métal, de le remodeler selon ses souhaits. Elle pourrait s'en formaliser, attachée stupidement à ce bout de métal, cette armure qui lui a fourni un espoir durant les dernières semaines. Un simple objet qui a bien plus de sens que ça, elle en est certaine. Mais la louve n'a rien besoin de dire. Le métal ondule quelques secondes, puis finit par reprendre sa forme d'origine, celle qui semble avoir été modelée juste pour elle. Elle espère que l'armure saura le convaincre, que Noah parviendra à lire  par delà le métal avec lequel il a été fait pour en comprendre l'origine et les secrets. Mais il n'en fait rien, et voilà qu'il se détourne à nouveau, qu'il se dirige vers la porte. Le cœur de Nysa loupe un battement en le voyant ainsi prêt à quitter sa chambre, à la laisser seule avec ses démons, avec la parole des Dieux qu'elle n'est pas parvenue à transmettre. Alors, malgré les mots que le Sielle prononce, Nysa sait qu'elle ne peut pas le laisser partir. Pas sans qu'il l'ait écouté, pas sans qu'il ait vu qu'elle ne mentait pas. Au final, elle ne sait plus vraiment s'il s'agit uniquement des rêves et des Dieux. Peut-être que c'est plus compliqué que ça. Peut-être qu'en se cachant derrière cette histoire, c'est avant tout leur histoire, dont elle aimerait prouver la sincérité. Peut-être que les mots qu'elle prononce aujourd'hui ne sont qu'une vérité qui fait écho à une autre, à des mots qu'elle lui a confié, il y a des semaines. Alors, pour les Dieux, pour eux, Nysa ne peut pas le laisser partir. Avant qu'il n'ait même eu le temps de s'approcher suffisamment de la porte pour se saisir de la poignée, la louve le rattrape et vient poser sa main sur son avant-bras. Sans être brusque, sa poigne est plus ferme qu'elle ne l'avait voulu, tout son corps animé par les sentiments et les émotions qui bouillonnent en elle. « Noah, s'il te plait. » Une supplique qui prend vie et meurt aussitôt sur ses lèvres. Jamais elle ne pensait le supplier un jour, mais voilà qu'elle jette sa fierté à ses pieds pour qu'il la piétine sans retenue. « Je n'ai pas menti. » Hier, aujourd'hui, le double-sens est clair dans les paroles de la Sielle. Ses prunelles cherchent celles de son époux, pour qu'il puisse lire lui-même la sincérité dans ces dernières. « Je n'ai aucune raison de le faire. J'ai déjà tout perdu, et plus rien a gagné. » Car c'est probablement trop tard pour tenter d'arranger quoique ce soit.

Inconscient de la détresse de son épouse, le brun préfère encore s’en aller que de supporter d’être dans la même pièce qu’elle. Aujourd’hui encore il ira voir Nathanael, comme un pansement sur ses blessures, il l’arrachera à ses précepteurs pour passer du temps avec lui. Jamais Noah n’avait passer autant de temps avec son fils en sept ans. Et encore une fois le gamin en sera ravi. Le père n’a que cette hâte désormais, rejoindre son héritier, ce garçon de métal qu’il forge jour après jour à son image, en essayant de ne pas répéter ses propres erreurs.

Mais Nysa ne l’entend pas de cette oreille. Elle le suit, et s’empare de son bras. Avec douceur… Mais pas que. Il y a une certaine détermination dans le geste de la shiver, qui le supplie de rester, de l’écouter, et de la croire. Noah se retourne, plonge son regard dans la brune et alors que les mots meurent sur les lèvres de la Sielle, la main de l’époux vient se placer contre sa nuque, la paume sur sa joue. Il maintient son visage dans sa direction, qu’elle ne puisse pas lâcher son regard.

Il songe à bien d’autre choses, en réalité. Il imagine la sensation de ses lèvres contre les siennes. Il se souvient de la douceur de son corps, de la chaleur de ses mains contre sa peau. Des sentiments impossible à oublier. Il sait qu’il vivra toute sa vie ainsi, ce n’est pas un simple amour qui le consume, c’est beaucoup plus fort et c’est pour ça que c’est si violent. Elle est mauvaise pour lui et pourtant il aimerait balayer toutes ces semaines de la main et juste l’embrasser.

L’homme déglutit et se crispe, la présence de sa femme est trop compliquée à gérer, mais plus encore ses mots. Nysa est incompréhensible. Menteuse quand ça l’arrange, sincère quand ça lui permet de rester en vie. Elle savait qu’en lui cachant la vérité alors qu’il savait la condamnerait. Alors non il ne pouvait pas choisir de la croire cette fois. « Tu pourrais gagner ma confiance si je choisissais de te croire. », tout, en soit. Elle pourrait tout gagner. Si Noah la voyait comme une sorte d’élue des dieux, il pourrait l’utiliser comme la reine ultime, comme la preuve de leur ascendance divine. Et cela était bien trop dangereux. « Mais ça tu l’as perdue il y a des semaines. », l’étreinte autour de sa nuque se fait un peu plus forte, il s’approche même d’un pas, pour accepter son ascendant. Les traits déformés par la rage, encore. La tension qui nait entre leurs corps est insupportable, et pour réussir cette épreuve, il met toute son énergie dans la colère qu’il ressent contre elle. Noah fait taire - de force - les démons qu’elle a fait naître en même temps que ses sentiments. « Qu’est-ce que tu veux, Nysa ? Quel magnetron t’as forgé cet alliage, hein ? Sous mon toit, dans mon château qui t’as forgé ça ? ». Une explication, voilà ce qu’il recherche. Il y en a forcément une. C’est forcément quelqu’un qui a fait ça, c’est forcément rationnel, plausible, explicable.

Au fond de ses prunelles on peut voir que le roi est perdu. Tout le monde sait que tout ça vient des dieux, mais personne ne veut y croire, et lui le premier. Les Sielle ne sont pas comme les Xi’nora, rares sont les tigres qui croient réellement aux dieux. Rares sont ceux qui pensent que des êtres supérieurs à eux-mêmes existent vraiment. Et pourtant… « Pourquoi ça serait toi ? », une question qu’il se pose inlassablement depuis qu’elle lui a raconté. Pourquoi elle, si c’est lui qui doit écouter le message ? Etait-ce même vraiment à lui qu’elle devait le transmettre ?

Sa main ne quitte pas l'avant-bras de son époux, elle s'y accroche presque dans l'espoir que cela sera suffisant pour le retenir ici, pour l'empêcher de partir. Mais la Sielle semble avoir gagné du temps auprès du roi, qui se retourne complètement pour lui faire face. Sa main libre vient se poser contre sa nuque, mais ce geste n'a rien d'affectueux ou de doux. Comme il aurait pu le faire avant pour l'embrasser, lorsque leurs désaccords les menaient parfois à ça, lorsque la tension et les ressentiments devenaient trop lourds à supporter et qu'ils cédaient, tous les deux. Mais ce ne sont pas ses intentions aujourd'hui. Malgré tout, Nysa ne peut empêcher son regard de quitter celui de son époux, une seconde à peine, pour se poser sur sa bouche. Ses lèvres, comme une invitation à redécouvrir ce qu'elle connaît déjà, comme un appel à revivre des souvenirs qu'elle avait enfoui au plus profond d'elle-même pour ne plus souffrir sous leurs assauts. Mais cet instant disparaît aussi vite qu'il est arrivé, et déjà les prunelles de la louve se heurtent à nouveau à la tempête sombre qui agite le regard du Sielle, alors que ce dernier reprend la parole. Et même si ses mots ne la surprennent pas, ils n'en sont pas moins douloureux. Une piqûre de rappel de ce qu'elle a perdu, alors qu'elle venait tout juste de se rendre compte qu'elle le possédait. Une confiance dont elle a prétendu se contreficher pendant des années, mais qui ne lui a jamais paru aussi importante aujourd'hui. Le cœur à nouveau à vif et les émotions qui se bousculent à l'intérieur, elle tente pourtant de garder la tête froide, en vain.

La pression de la main de Noah sur sa nuque se fait plus insistante. Il se rapproche, et Nysa se redresse légèrement, lève le menton un peu plus haut afin de toujours l'observer dans les yeux. Et elle l'écoute toujours, reste mutique alors qu'il continue à l'accuser, à chercher une explication, à chercher des excuses pour se dérober face aux vérités qu'elle tente de lui offrir. Elle la sent, la colère qui s'insinue en elle, sournoise, qui échauffe ses joues. L'émotion qui ne cesse de prendre de l'ampleur sous la tension que Noah lui inflige, sous l'atmosphère qui règne dans la pièce, l'électricité qui court entre eux-deux. Pourtant, ce n'est pas seulement Noah la cible de cette rage, car malgré toutes les justifications qu'elle peut se trouver, elle sait qu'il a raison de lui en vouloir, raison de ne pas lui faire confiance. Elle est en colère contre elle-même, pour avoir été assez stupide pour se retrouver dans cette situation, contre les Dieux qui lui ont confié ce foutu rôle dont elle n'a jamais voulu, contre le Monde entier, pour Dieu sait quelle raison. Et cette colère, elle la consume de l'intérieur alors qu'elle tente de la contenir, de ne pas la laisser exploser. Mais c'est plus fort qu'elle. Les semaines passées à tourner en rond comme une louve en cage l'ont rendu à fleur de peau, et la dernière question de Noah achève de lui faire perdre son self-control. « Tu crois que j'ai voulu de tout ça? Que c'est pour ça que j'ai prié les Dieux depuis mon enfance? Pour qu'ils me choisissent? » Sa voix explose comme une centaine d'éclats de verre. Elle ne contrôle plus rien Nysa, son corps tremble de rage, d'incompréhension, de toutes ces choses qu'elle s'est forcée à retenir durant ces dernières semaines. « J'aimerais bien pouvoir répondre à ta question, mais j'en suis incapable.  Je ne sais pas pourquoi c'est moi qu'ils sont venus voir! » Elle tente de s'extraire de la poigne du Sielle, ressentant le besoin de mettre de la distance entre le corps de son époux et le sien. Ses yeux brûlent, elle cligne plusieurs fois des paupières avec force pour essayer de chasser les larmes - de colère, de tristesse, elle n'en est pas sûre - qui menacent de couler sur ses joues. En vain. « Tu sais comme moi que personne sur ce foutu continent n'a forgé cette armure. Tu sais que je ne suis pas sortie de cette chambre si ce n'est avec toi, pour aller voir notre fils. » La simple mention de Nathanael lui donne l'impression que l'on plonge un couteau dans son cœur. Les larmes roulent sur ses joues sans qu'elle ne puisse rien y faire désormais. « Un fils que je vois à peine, depuis que je suis ici. Alors quoi, tu penses que je risquerais ça, que je risquerais de perdre ces quelques moments avec lui, pour une histoire inventée de toutes pièces?  » Voilà peut-être la seule chose pour laquelle elle en veut vraiment à Noah. Parce qu'il la prive de son fils, comme si elle ne l'avait pas mis au monde et élevé à ses côtés ensuite. « Tu aurais aimé que ça soit toi, que les Dieux viennent voir? C'est ça qui t'enrage? Qu'ils soient venus voir quelqu'un comme moi, plutôt que sa Majesté? » Elle sait qu'elle va trop loin, Nysa, et pourtant elle ne peut pas s'en empêcher. Elle serre les mâchoires, tandis que la colère commence à redescendre. « Je ne mens pas, et je pense que tu le sais. C'est la vérité qui t'effraie. »

Le regard de la brune glisse, un instant seulement. Un instant d’égarement, que Noah ne remarque qu’à peine, d’un coin de sa conscience et qu’il ne prend pas le temps de comprendre. Ce n’est qu’un élément de plus à la tension qui grandit entre eux. La colère gronde tout autant entre les deux Sielle, elle se fait puissante et le roi lâche la reine, juste quand celle-ci explose et se débat. Il ne veut plus la toucher, si elle devient comme ça. Incontrôlable, insupportable. Elle s’enflamme, la reine des glaces. Et tout ce qui sort de sa bouche est odieux, tout ce qu’elle dit n’a pour but que de le provoquer. Elle pleure et si une part de lui déteste ça, c’est l’autre part qui l’emporte : celle qui refuse de lui laisser avoir ce pouvoir. Elle n’a pas le droit de pleurer, d’être une victime alors qu’elle voulait priver son fils d’un père, qu’elle voulait priver une famille d’un patriarche. Les doigts de Noah tremble de rage, certains objets en métal dans la pièce tremblent aussi, d’ailleurs, comme trop sensibles à tout ce qu’il dégage. Il peut se contrôler, pourtant. Le Sielle n’a jamais craqué, pas totalement, pas comme ça. Il sert les poings, et quand elle termine, il décide de ne rien dire. Il quitte la pièce.

La porte claque dans son dos et le roi se dirige à grands pas vers une autre pièce, ou les jardins, ou un bureau, en fait il ne sait pas. Il marche simplement, et fini par entrer dans ses appartements, où il est seul. Là, il attrape le premier objet sur une table et le jette au sol. Le geste est idiot et surtout, aux antipodes de sa personnalité et pourtant ça le calme. Ca lui fait du bien. Alors il souffle finalement, le dos posé contre la battant en métal de la porte. Le roi prend une grande inspiration et ferme les yeux. Il est parti si précipitamment, sans réfléchir. C’était plus facile comme ça à supporter.

Nysa avait tort. Il ne voulait pas que les dieux viennent lui prêcher la bonne parole directement dans son oreille. A vrai dire Noah ne voulait plus rien, désormais, si ce n’est de pouvoir partir d’ici, de Rezbia, abandonner son trône, quitter ce putain de continent et aller voir ailleurs si le monde était moins pourri jusqu’à la moelle. La vérité c’est que Noah commençait à abandonner la partie, continuant simplement à faire semblant de tout vouloir, à faire vivre l’héritage de son père et le nom de sa famille. Il ne faisait plus ça pour lui-même depuis des semaines. A quoi bon ? Pour que son unique fils hérite des menaces de morts, des tentatives d’assassinats, de cette vie qui n’en était pas une, des obligations, des pressions, des guerres et des batailles. Pour que son propre fils, en digne hériter, soit lui aussi marié de force à une femme que son père lui aurait choisi. Et qu’il soit seul. Irrémédiablement seul, sans amour, sans liberté, sans rien, si ce n’est avec l’argent de la couronne qu’on lui poserait sur la tête alors que le corps de son père serait encore chaud.

Noah inspire profondément, et, plus calme, décide de retourner voir Nysa. Parce qu’elle a été trop loin, et qu’il refuse qu’elle l’emporte sur cette victoire. Le roi quitte ses appartements, sans un regard vers le cadre écrasé au sol - un cadre qui représente sa mère, quelle ironie - et se dirige vers la chambre de son épouse. Quelques minutes se sont écoulées entre le moment où il est parti et son retour. Dix ou quinze minutes, tout au plus, il ne le sait pas vraiment. La porte s’ouvre à nouveau, en douceur cette fois, et se referme avec la même intensité. Il s’approche, et ne dit rien pendant quelques secondes. Son regard toise la Sielle de la tête au pied. Il déboutonne sa veste de costume, pour pouvoir respirer un peu plus facilement, et glisse sa main dans sa poche, l’autre venant pianoter contre la commode qui se trouve à sa gauche.

« Ecoute moi bien, Nysa. Je ne suis pas ici pour supporter ton arrogance et ta colère illégitime. Je ne reviendrai plus ici si c'est pour subir tes crises de nerfs. », l’apparent calme retrouvé cache en réalité une immense rage. Elle est allée trop loin, et elle doit le savoir. La froideur de son ton est la même qu’au début de leur entrevue, désormais. « Je me fiche de qui les dieux choisissent de tourmenter, du moment que ce n’est pas moi, ou notre fils. », justement, aurait-il voulu ajouter. Il ne voulait pas de la parole divine, pas si c’était pour lui dire de se battre, encore et encore. « J’ignore si tu mens, et c’est ça mon problème avec toi, Nysa. J’ignore quand tu mens et quand tu dis la vérité. Je ne veux rien savoir de toi, je ne veux plus rien savoir de toi. » Une longue pause s’étire entre eux. Le mensonge du roi prendra… Ou pas. Il l’ignore. Pourquoi aurait-elle autant d’impact sur lui si il s’en fichait autant d’elle…? Peut être qu’elle pourrait comprendre, alors, qu’il n’était pas sincère quand il disait ne pas se soucier d’elle. « J’ignore à quel point ce que tu racontes est un fantasme ou non, si tu exagères les choses simplement pour espérer que j’oublie tout ce que tu as fait et que je t’écoute. » Il s’approche. « Alors mettons les choses au clair, Nysa… Je n’oublierai jamais ce que tu as fait. Ce que nous avions… Ça ne reviendra jamais. » Il prend son menton, et la force à le regarder. « Ca ne reviendra jamais, tu m’entends ? Tu vivras le restant de tes jours seule, et j’en ferai de même. », le roi lâche son épouse, presque violemment. « Que les dieux te soufflent de renouer le contact avec moi ou d’autre Sielle n’y changera rien. », mais c’était bien plus que ça, car ils ne voulaient pas simplement que le loup et le tigre s’entendent, non…

La colère vibre autour d'eux, la tension alourdit l'air dans la pièce. Le métal dans la chambre s'éveille sous le pouvoir du magnetron, mais la louve n'y fait presque pas attention, bien trop captivée par le brasier qui se reflète dans les prunelles noires de Noah, qui consume son âme derrière les pupilles dilatées par la rage. Elle s'attend à recevoir la tempête de pleine face, à accueillir la haine du Sielle, sa violence, tout sauf son mépris et son désintérêt, en vérité. Mais il ne fait rien. Pire, il s'en va, il la quitte, et la porte se referme derrière lui.

La colère, aussi vite qu'elle est apparue, se dissipe. Et il ne reste plus rien que le vide, dans sa poitrine, le néant qui menace de l'engloutir tout autant que le silence qui règne dans la pièce après que la porte ait claqué derrière le Sielle.
Et d'un coup, tout lui revient en plein visage. La réalisation de ce qu'il vient de se passer la frappe avec force, et c'est beaucoup trop à supporter. C'est trop douloureux, trop angoissant. Elle se sent suffoquer, enfermée dans cette pièce, entre ces quatre murs. Elle voudrait courir aux fenêtres, les ouvrir pour laisser l'air entrer et la libérer de ce poids qui écrase sa poitrine, mais elle est figée sur place. Les pieds ancrés au sol, elle est incapable de bouger. Ses jambes semblent faites de coton, incapables de supporter son poids. Ses genoux viennent heurter le sol, le choc vibre dans tout son être. C'est tout son corps qui se trouve secoué de soubresauts, alors que ses larmes coulent sur ses joues, que ses pleurs se font hystériques, presque. Elle pleure comme ça pendant plusieurs minutes, incapable de se calmer, la respiration erratique. Comme le chagrin d'une enfant que personne ne parviendrait à calmer. La voilà à nouveau seule dans cette prison, et jamais ça n'a été aussi difficile à supporter pour elle. Jamais la réalité de sa situation ne lui est apparue avec autant de clarté. Voilà ce qu'était devenue sa vie, voilà ce qu'elle allait toujours être. Tout ce pourquoi elle s'était toujours battue, tout ce contre quoi elle avait toujours lutté, réduit à néant. Toute sa vie, elle avait cherché à s'affranchir de toute autorité, s'était promise de ne jamais laisser quiconque lui lier les mains, entraver sa liberté. Des promesses qu'elle s'était faites, à elle-même, tout ça pour devenir l'investigatrice de sa propre chute. Tout ça pour être la responsable de son enfermement. Ainsi, elle était devenue son propre bourreau, son propre geôlier. Bien sûr, peut-être que toute la faute n'était pas sur elle, mais elle ne pouvait pas nier sa responsabilité dans cette histoire.

Quelques minutes, et pourtant cela semble être des heures lorsque Nysa parvient à reprendre le contrôle de son esprit, et de son corps. S'efforçant de calmer sa respiration, de ralentir les battements de son cœur, elle ferme les yeux, laisse ses poings se refermer sur le satin de sa robe de chambre. Les larmes cessent de couler et les sillons qu'elles ont laissé derrière elles sèchent sur ses joues. Stupide, voilà ce qu'elle a été. Impulsive, aussi. Immature. Forgée dans la glace, voilà une réputation risible qui ne lui sied guère, en réalité. Voilà bien longtemps qu'elle n'est plus la reine de glace qu'elle a un jour prétendu être. Voilà bien longtemps que Noah a fait fondre tout ce qui protégeait son cœur, tout ce qui l'empêchait d'agir comme une imbécile. Elle venait d'utiliser son seul joker, d'épuiser sa dernière chance d'atteindre son époux, de lui faire entendre raison, de plaider sa cause. Elle allait pourrir ici pour toujours, si elle ne choisissait pas de prendre la fuite avant. Mais prendre la fuite, ça signifiait abandonner, ça signifiait laisser Nathanael derrière elle, et elle refusait qu'il puisse penser qu'elle ne s'était pas battue pour lui, de tout son cœur.  Ça signifiait aussi le laisser lui derrière, le décevoir une fois de plus, et même si Nysa se plaît à penser qu'elle n'a jamais cherché l'approbation de personne, elle sait que c'est faux. Son père, il a été le premier, celui qu'elle a déçu dès sa naissance, et qu'elle n'a cessé de haïr autant qu'elle ne souhaitait lui prouver qu'il avait tord. Puis Noah, qui l'a rejeté depuis le début, car elle n'était pas celle qu'il voulait, celle qu'il avait choisi. Elle a voulu, plus que tout, lui prouver qu'il avait tord, lui aussi. Qu'il s'était trompé sur ses choix, sur sa personne. Qu'elle valait bien plus que n'importe quelle autre. Peut-être était-elle celle qui avait tord, finalement. Car après tout, elle n'était plus certaine de valoir plus que quiconque.

La jeune femme se redresse enfin, plus calme qu'il y a quelques minutes. Son corps semble encore affaibli par la violence des émotions qui l'ont assailli il y a seulement quelques minutes. C'est sur des jambes encore légèrement tremblantes qu'elle se lève, et s'avance jusqu'à sa coiffeuse. Le reflet que lui renvoie la miroir lui arrache un rire qui sonne faux. Elle se trouve pitoyable, avec ses yeux vitreux, les larmes séchées sur ses joues, son teint terne et ses cernes qui semblent davantage marquées qu'avant. Elle a presque l'air d'une folle, comme ça, finalement. Certainement pas d'une reine, en tout cas, ni d'une femme qui aurait été choisi par les Dieux pour délivrer leur message. Du dos de sa main, Nysa tente d'effacer les traces laissées par les larmes. Elle ne peut pas faire grand chose pour le reste. La louve se redresse dans le miroir, lève le menton, pour défier son double dans le miroir.

Elle n'est pas folle. Elle n'est pas pitoyable. Elle est une reine, et Nysa se refuse d'être quoique ce soit d'autre. C'est ce pourquoi elle est née, et si les Dieux l'ont choisi, ce n'est pas pour rien. La Sielle s'en remet à eux, leur fait confiance. Rien n'arrive par hasard, elle en est persuadée.

Elle se relève à peine, et fait quelques pas pour s'approcher de l'armure, que la porte s'ouvre à nouveau. Nysa fait volte-face, prête à congédier quiconque ose rentrer dans sa chambre, mais se fige lorsque son regard croise celui de Noah.
Son cœur loupe un battement, aussi surprit qu'elle de le voir à nouveau ici. Il s'approche lentement sans jamais la quitter du regard, et la louve ne sait pas si c'est l'intensité de ce dernier qui la maintient sur place, ou si c'est simplement son corps qui refuse de mettre davantage de distance entre son époux et elle. Les doigts du tigre glissent contre les boutons de sa veste, et les prunelles de la jeune femme suivent chacun de ses mouvements, devinant ce qui se dessine sous la chemise du brun. Finalement, ses iris remontent jusqu'au visage du Sielle, alors qu'il reprend la parole. Sa voix est glaciale comme la toundra de Hiokuri. La colère n'a pas disparu, mais Noah sait comment la contrôler, comment la transformer pour la faire souffrir encore plus. Nysa se tait, le laisse poursuivre. Les mots font mal, et pourtant, même elle n'est pas convaincue de leur véracité. Pourquoi est-il revenu, s'il se contrefiche d'elle autant qu'il le prétend. Pourtant, elle sait que cet espoir qui s'éveille en elle est dangereux, et elle préfère laisser le roi l'anéantir à nouveau en lui disant que plus jamais ce qu'ils avaient n'existera. Leur amour, enterré, définitivement. Et alors que Noah la force à le regarder lorsqu'il lui balance ça au visage, la louve ne peut pas cacher la douleur qu'elle ressent. Mais cette fois-ci, elle n'essaye même pas de le faire. Elle l'assume, fièrement, la tête toujours haute, le regard ancré dans le sien. Et s'il parvient à lire en elle comme dans un livre ouvert, tant mieux, après tout. Elle n'a plus rien à lui cacher, désormais.

Et finalement, il la relâche, et c'est au tour de Nysa de s'exprimer. « Je crains que ça soit plus compliqué que ça. » Plus compliqué que leur situation, qui lui donnait pourtant déjà la migraine. « Il ne s'agit pas que de toi, de moi, de nos familles. Je crois.. je crois que ça nous concerne tous, en réalité. » Voilà qu'elle choisit de se concentrer sur la raison qui l'a poussé à demander la présence de Noah ici. Elle met de côtés tout ce qu'elle aimerait lui dire qui ne les concerne qu'eux, tous les mots qu'elle voudrait utiliser pour s'expliquer, pour se justifier. Elle ne pense pas qu'il souhaite les entendre, de toute manière. « Je n'ai pas toutes les réponses, mais ce n'est pas que Hioki et Valdios qui sont apparus dans mes rêves. C'est aussi Othinia et  Sebana. Tous les quatre, c'est eux qui sont parvenus à me sauver du lac, et des personnes qui tentaient de m'entraîner au fond de l'eau. » Elle a réfléchi à ce que cela signifiait, aux mots que Hioki est venu lui apporter. Une seule conclusion fait sens, pour elle. « Je crois que les Dieux veulent que nous cessions de faire la guerre à la Confrérie. » Voilà la réponse à laquelle elle était parvenue, sans pour autant comprendre pourquoi les Dieux souhaitaient ça. Peut-être en avaient-ils assez de voir leurs enfants se déchirer. Peut-être les punissaient-ils pour ça. Un soupir quitte les lèvres de la shiver. « Cette information t'appartient, désormais. Fais en ce que tu veux. » Son regard glisse vers la porte de sa chambre. « Je t'ai dit tout ce que je savais, tout ce que les Dieux ont partagé avec moi. Tu es libre de partir désormais, et de ne plus revenir, si c'est ce que tu souhaites. » Ainsi, peut-être, espérait-elle le convaincre de la véracité de ses propos. Elle n'avait rien à gagner dans cette histoire, et peut-être finirait-il par le voir.

La douleur qu’il pouvait lire dans le regard de son épouse n’avait rien d’insignifiant pour lui. L’homme ne pouvait pourtant pas se laisser emporter par ses sentiments. Il ne pouvait pas laisser la shiver faire tomber ses défenses d’un simple regard. Alors c’est avec plus de fermeté encore qu’il resserre son étreinte sur elle, avant de la lâcher. La mâchoire crispée, les muscles tendus, Noah recule d’un pas pour la laisser parler. Il n’a pas manqué une miette de son regard rougi, mais là encore il refuse de se laisser aller à ses sentiments.

Ayant manifestement compris ce que Noah s’était acharnée à lui dire, Nysa ne revient plus sur leur relation, et ne la mentionne plus. Elle ne fait que parler de son message divin et de sa signification. Le roi écoute, et plus elle avance dans son plaidoyer plus il reste attentif jusqu’à ce qu’elle mentionne la confrérie. Il ne peut empêcher un léger rire jaune, alors qu’il secoue la tête. Et puis, elle l’invite à partir, si il le désire, car elle a tout dit mais Noah n’a pas fini.

Et puis, quelque part…
Il a envie de rester.

Il n’a pas fini avec elle, car elle ne peut pas lui parler de dieux et puis plus rien. Elle ne peut pas lui dire d’arrêter la guerre avec les Zarkari et les Macanthos, et puis le laisser se démerder. Noah refuse. « Arrêter la guerre avec la confrérie, hm ? », il hausse les sourcils, brièvement, presque amusé par cette idée. « Tu te fous de moi, Nysa, encore… » Le roi s’éloigne un instant, et s’approche de la fenêtre. Voilà donc la vue qu’elle a tous les jours depuis le mois de novembre. Dehors, il n’y a plus de tigres. Rentrés pour éviter qu’ils meurent de froid, les bêtes ont complètement déserté l’immense domaine. Il n’y a que les quelques fous qui sortent, et dont la silhouette est impossible à discerner dans cette noirceur constante. « Sais-tu comment les guerres se terminent ? », il se tourne vers elle, la question est rhétorique : bien sur qu’elle le sait. « Penses-tu qu’Orion sera ravi de me revoir, après tant d’année ? On était amis, avant. », Noah s’approche d’elle, c’est un secret qu’il ne lui a jamais révélé, qu’à vrai dire aucun Sielle ne connait. Peut être que son père s’en était douté, étant donné que Noah avait voulu empêcher l’incendie sur le manoir, au départ. Il s’approche de son épouse, et secoue la tête. « Si j’étais à la place d’Orion, je dirais oui pour rencontrer le patriarche de la famille qui a décimé la mienne… Et une fois sur place, je le tuerais sans réfléchir. » Noah plisse les yeux, légèrement, alors qu’une idée lui traverse l’esprit. « Peut être que c’est exactement ce que tu veux. » Il hésite, observe à nouveau l’armure et puis Nysa.

Lorsqu'elle mentionne la Confrérie, Nysa ne peut ignorer le rire qui échappe des lèvres du Sielle. Elle sait que ça paraît fou, et que sans cette information, peut-être serait-il plus enclin à la croire. Elle imagine qu'elle aussi serait perplexe si les rôles étaient inversés. Sa conviction, elle ne la tire que de ces rêves qui l'ont trop hanté, de cette apparition bien trop réelle pour n'appartenir qu'à son imagination. Les Dieux ont su la toucher, en plein cœur, la convaincre de leurs vérités, bouleverser toutes ses certitudes. La paix avec les Zarkari et les Macanthos lui a toujours semblé être un idéal impossible à atteindre, et la guerre une nécessité. Mais désormais, elle n'est plus sûre de rien.

Lorsqu'elle termine, reine et roi s'observent, comme deux pièces opposées sur un plateau d'échec. Nysa attend, qu'il parte à nouveau, qu'il franchisse cette porte sans prononcer un mot de plus. Elle se prépare à cette éventualité, à ce qu'il balaye d'un revers de la famille tout ce qu'elle a pu lui dire, qu'il sorte de cette pièce et continue à mener sa vie comme si cette entrevue ne s'était jamais déroulée. Mais non. Noah reste, il poursuit, et la louve ne sait comment interpréter ça. Car s'il persiste à remettre en question sa parole, à trouver un sens caché à tout ce qu'elle peut lui dire, il est toujours là. Alors, quelque part, peut-être que ses mots le touchent, qu'ils le font réfléchir.

Noah s'éloigne, et Nysa fait un pas pour le suivre. Il s'approche de la fenêtre, la louve secoue la tête comme pour manifester son désaccord, un réflexe plus qu'autre chose, car son époux lui tourne le dos, alors elle prend la parole pour accompagner son geste de mots. « Je le concède, ça paraît fou. Ça l'est. Mais je n'ai pas réussi à trouver d'autres explications. » Elle aimerait qu'il le comprenne, qu'elle ne se moque pas de lui. Pas cette fois. Pourtant, elle a conscience que la confiance qu'il a un jour pour lui donner est morte et enterrée, et que chaque mot qui franchit la barrière de ses lippes n'est qu'un mensonge murmuré à ses oreilles. Comme une charmeuse de serpent, les mensonges destinés à le mettre en confiance pour lui faire baisser sa garde. Elle aurait pu le faire, elle en aurait certainement été capable. Endormir sa vigilance, pour mieux frapper ensuite. Elle aurait pu, si elle avait seulement voulu le faire. Et c'est probablement ce que Noah imagine, ce qu'elle a fait à ses yeux durant ces derniers mois. Et même si ça avait été le cas, voilà bien longtemps que Nysa se serait faite prendre à son propre jeu, piégée par l'aura magnétique du Sielle, par la douceur qu'elle avait longtemps ignoré. Mais tout ça, cette sincérité dans ses propos, dans ses sentiments, elle est bien la seule à la connaître.

Finalement, Noah fait volte-face et poursuit. Il évoque Orion, et une amitié dont la jeune femme n'a jamais eu connaissance. Elle l'imagine, le tigre, plus jeune, sympathiser avec le lion. Elle les imagine bien, même, deux gosses, dépassés par les querelles de familles, par la haine ancestrale. Tout aurait pu être différent, avec eux deux. Une nouvelle génération, de nouvelles relations. Mais l'incendie a eu lieu, et avec lui, les fragments d'une vieille amitié réduits en cendres. Alors oui, elle ne peut que comprendre le cheminement du Sielle, et la conclusion à laquelle il parvient. Malgré tout, un soupir échappe de ses lèvres, ils ne font que tourner en rond. « Non, ce n'est pas ce que je souhaite, mais à quoi bon le répéter puisque tu n'es pas disposé à l'entendre. » Elle secoue doucement la tête, comme pour chasser ces pensées de sa tête. Elle refuse de s'éloigner à nouveau du sujet, elle sait que  le chemin dans lequel Noah s'engage est dangereux. « Je ne leur fais pas confiance, pas plus que toi. Alors je ne te dis pas d'aller te jeter dans la gueule du lion. » A nouveau, elle observe Noah, laisse son regard s'accrocher à celui de son époux. « J'espère simplement que tu sauras prendre en compte ce que j'ai pu te dire, et réfléchir à ses paroles. » Elle hausse les épaules, et laisse un instant le silence retomber entre eux. Puis, finalement, elle reprend avant que Noah ne puisse le faire. « Si les Dieux cherchent à s'exprimer à travers moi, leurs mots restent flous. Alors vas-y, je t'écoute. Dis moi quelle est ton interprétation, si la mienne n'est qu'une manigance à tes yeux. » Croisant ses bras sur sa poitrine, probablement un mécanisme de défense inconscient, une manière de se protéger, de protéger son cœur, Nysa le dévisage. « Tu ne peux pas fermer les yeux sur les preuves qui sont là, tout autour de nous. Le soleil, qui a disparu depuis des mois. Les rêves, que nous sommes nombreux à avoir eu. L'armure. Les mots qui sont apparus dans toutes ces villes. Seuls les Dieux sont capables de faire ça, et ils cherchent à nous faire comprendre quelque chose. »

Le brun soupire, le regard posé sur la Xi’nora en face de lui. Il a du mal, désormais, à la voir comme une sielle. Alors qu’elle est son épouse, celle à qui il a donné son nom et la seule femme à qui il donnera son nom, à jamais. Quelque chose à changer dans son regard, désormais. Il voit qu’elle n’attend plus rien de sa part, qu’elle s’attend probablement à ce qu’il parte, qu’il en ait marre. Quelque part la brune n’aurait pas tort, et Noah serait bien hypocrite de le nier. “Que me dis-tu de faire, alors ?”, comme si il allait l’écouter, comme si il ferait la moindre chose qu’elle lui dirait de faire. Oh, au fond, il l’écoutait. Plus qu’elle ne pouvait se l’imaginer.

“Evidemment que c’est tout ce que j’entends, Nysa, quand il y a quelques semaines encore tu avouais vouloir ma mort.” siffle le Sielle, fauve devenu plus serpent que tigre. Le crachat venimeux de ses mots ne cessait de sortir de sa bouche, pour aller atteindre la louve. Mais elle semblait désormais inatteignable. Peut être avait-elle tout simplement fini par comprendre que rien, rien ne pourrait changer leur relation. Et si ça lui crevait le coeur, elle parvenait à le dissimuler de mieux en mieux. Pourtant elle avait montré un pan de cette tristesse à Noah, qui avait refusé de se laisser attendrir. Du moins pas tout de suite.

La brune se referme complètement, finalement. Elle croise les bras sur sa poitrine, désireuse d’entendre son point de vue à lui. Lui plisse à nouveau les yeux, en colère parce qu’elle l’a acculé dans un coin et qu’il sait qu’il ne pourra pas s’en sortir sans concéder quelques blessures. Le b.a. ba de la tactique militaire, et comme un con il s’était fait avoir par son épouse. En même temps, la femme de combat, c’était elle. “Tu oublies que Orion se prend pour la réincarnation du soleil.”, classique de son ami, une pensée idiote mais qui collait à la peau de l’arrogant Zarkari. Quelque part, il était bel et bien le soleil. Dans leur enfance, c’était vers lui que Noah avait tendance à se tourner quand la vie était un peu trop dure à Valdierva, et qu’on ne le laissait pas avoir le moindre sentiment. Si il ne les avait jamais montré à Orion par crainte que le Zarkari les utilise contre lui, il ne les avait pas sincèrement dissimulés non plus.

“Peut être que les dieux veulent que nous punissons Orion pour ce blasphème.”, lui-même ne croyait pas en ses propres mots. Il glisse ses dents sur sa lèvre inférieure, un signe apparent de nervosité pour le roi, qui a besoin de bouger, pour se sentir moins enfermé par la Xi’nora. “Mon rêve n’a aucun sens…”, souffle Noah, réfléchissant à haute voix, il ne lui parle pas vraiment et pourtant, quand il prononce ces mots, il effleurent le corps de la louve tandis qu’il la dépasse pour aller rejoindre l’armure, définitivement intrigué par elle, il l’observait sous toutes ses coutures. “Pourquoi aurais-tu reçu une armure si c’est pour que nous arrêtons de nous battre ?”, il se retourne vers elle, le regard interrogatif. Plus il se plonge dans cette réflexion, plus sa colère fond. Elle savait mieux que personne comment lui parler pour calmer ses impulsions : le faire réfléchir était encore la meilleure solution.

La louve hausse les épaules. Elle y a réfléchi, à cette question, mais elle ne pensait pas que Noah souhaiterait entendre son avis sur le sujet. Et si les paroles sont prononcées avec une pointe d'ironie, Nysa a l'impression qu'au fond de lui, son époux a tout de même envie d'entendre ce qu'elle a à dire. « Discutes-en avec tes conseillers, avec tes alliés. Essaye de voir si d'autres que moi ont reçu une visite des Dieux. Essaye de reconstituer le puzzle, d'avoir toutes les preuves nécessaires pour que les Zarkari ne puissent réfuter nos vérités sans passer pour des fous. » Se préparer, voilà ce qu'il est nécessaire de faire à ses yeux. Établir une stratégie, comme ils auraient pu le faire lors d'une guerre.

Le Sielle poursuit, et dans ses mots se glissent à nouveau des paroles assassines, des lames tranchantes qui viennent se planter droit dans le cœur de la reine. Même lorsqu'elle essaye de rester loin de ce sujet tabou, Noah ne cesse d'y revenir, encore et encore. Et à chaque fois qu'il le fait, elle ne peut que voir à quel point il la déteste pour ce qu'elle lui a fait. Et comment lui en vouloir? Alors la louve encaisse, laisse son myocarde se recroqueviller dans sa cage thoracique pour supporter le venin que Noah lui crache au visage. Elle reste neutre, les émotions dissimulées derrière des traits lisses, mais ses yeux la trahissent malgré tout, pour qui voudrait bien s'y perdre et en deviner les secrets.

Un rire s'échappe des lèvres de la brune. Un son teinté de mépris pour le Zarkari, et pour la suffisance doit il doit faire preuve, lui qui se compare à un Dieu, à l'astre solaire qui a cessé de brûler dans leur ciel depuis plusieurs mois déjà. « Et regarde ce qui arrive au soleil, en ce moment. » Pourquoi chercher à être le soleil quand ils peuvent être tellement plus que ça? Alors, même si elle trouve cette situation ridicule, elle ne pense pas que les Dieux chercheraient à le punir pour ça. Ce n'est pas ça qui est ressorti de ses rêves, ce n'est pas cette intuition qui s'est glissée dans son cœur au réveil. Et si c'était le cas, pourquoi les Dieux se donneraient tant de mal à leur faire comprendre quelque chose qu'ils sont déjà en train de réaliser. Car n'est-ce pas ce qu'ils font déjà, la guerre, aux Zarkari? Même Noah ne croit pas à ses propres paroles. Elle le voit, à la manière qu'a son corps de réagir, à ce tic qu'il utilise parfois, lorsqu'il mord sa lèvre inférieure. Le regard de Nysa est rivé sur ses lippes, sa bouche hypnotisante pour la reine. Elle se demande si ses souvenirs sont vraiment fidèles à la réalité. Elle aimerait pouvoir l'embrasser, encore une fois, pour se rappeler du goût de ses lèvres, de leur douceur, de la manière qu'il avait de la toucher lorsqu'ils s'embrassaient, de la passion de leurs échanges. Et lorsqu'il passe à côté d'elle et l'effleure, la Xi'nora se retient de le retenir en attrapant la manche de sa veste. Au lieu de ça, elle le laisse la dépasser, et après une seconde, se retourne avec un soupir. Stupid. Nysa fait quelques pas pour le suivre, et s'arrête lorsqu'il se retourne pour l'observer à nouveau. « C'est là que j'ai encore du mal à comprendre. » Elle s'approche à son tour de l'armure, ignorant le fait qu'elle s'approche par la même occasion de Noah. Son regard se fixe sur le métal, comme pour occulter la présence de son époux à quelques centimètres à peine. Pourtant, son parfum chatouille ses narines, et c'est à la fois tellement réconfortant, et si perturbant. Nysa se fait violence pour rester concentrer sur l'armure, alors que ses doigts viennent glisser contre le métal froid, et suivent les formes dessinées dessus. Les souvenirs de ses rêves lui reviennent en tête. Les corps qui tentent de l'entraîner vers le fond, l'eau rouge et brûlante. « Dans mes rêves, on tentait de m'entraîner vers le fond de l'eau. Des personnes, dont les mains se refermaient autour de mes chevilles. J'imagine que ça doit représenter nos ennemis. » Mais lesquels? Depuis les manifestations de septembre, ils avaient tant d'ennemis que la Sielle ne savait pas de qui les Dieux voulaient bien parler. « Les autres mouvements, probablement. Tout ceux qui ne soutiennent pas le retour à la monarchie, ni la supériorité des argents. » Peut-être était-ce ça qu'ils voulaient, en réalité. Les quatre anciennes familles royales, à nouveau sur leurs trônes respectifs. Peut-être était-ce comme ça que les Dieux étaient les plus puissants, comme ça que l'équilibre de leur monde était assuré. Nysa n'est sûre de rien, et, d'une certaine façon, elle en veut au panthéon d'être tellement imprécis dans leurs paroles, comme si c'était à elle de deviner leurs intentions sans faillir à la mission qu'on lui avait confié à demi mots.

Noah écoute, mais ne dit rien. Il entend les conseils de son épouse mais ne veut pas lui donner la satisfaction de lui donner ce qu’elle voulait : son assentiment. Il voit, cependant, le regard qu’elle vrille quelque part sur le bas de son visage, et son corps, faible, réagi en se faisant se hérisser les poils de ses bras, une chaire de poule caractéristique qu’il reconnait et qu’il se hait d’avoir. Le brun décide alors de se concentrer sur autre chose, bien trop conscient du pouvoir de la louve sur lui. Il l’effleure en la dépassant, mais refuse de jeter un regard à la traitresse, avant de reprendre le flux de ses paroles.

Elle se rapproche de lui, pour observer l’armure. Agacé, parce qu’il aurait préféré mettre de la distance entre eux, Noah soupire doucement. Ce n’est pas vraiment un soupire, plus un besoin de relâcher une pression qu’il appose sur ses propres sens, pour éviter d’obéir à ses instincts. Ses instincts contradictoires, comme ils l’ont toujours été avec Nysa. D’un côté il lui arracherait la tête avec le métal de cette armure, et de l’autre c’est ses vêtements qu’il a terriblement envie de lui arracher. Il fait un léger pas de côté, le regard se posant finalement sur elle. De profil, les traits de son visages sont plus doux, et lui donne un air presque innocent, vu de haut comme ça.

« Les rouges, donc. », conclu Noah. Il recule à nouveau, incapable de comprendre pourquoi il est encore présent. Il décide alors de tester le métal de l’armure, à nouveau, et retire la veste de son costume, pour la poser sur la chaise de la coiffeuse de la reine. « Le métal m’a résisté tout à l’heure. », fait-il, plutôt insatisfait de lui-même. Nysa sait autant que n’importe quel Sielle qu’il sait maîtriser son pouvoir, et plutôt très bien. C’est la moindre des choses pour le roi de la région de Valdierva, et pour un conquérant. « Si il me résiste encore, peut être que je te croirai. », fait-il en coulant un regard à son épouse, alors qu’il remonte sa seconde manche jusqu’au coude.

Le roi pose ses deux mains à plats sur le métal, ce n’est pas obligatoire mais ressentir le métal rend toujours la création du lien plus aisée. Il se concentre, tandis que des vaguelettes naissent le long de l’armure. Ce que Noah veut faire, c’est reforger l’armure, modifier sa structure. Il parvient à l’agrandir un peu, affinant le métal, mais celui-ci résiste et tente de revenir dans sa position initiale. C’est comme tirer sur un élastique : il sait que ça va soit casser soit revenir dans sa position initiale. L’homme refuse de se laisser abattre, cependant, comme si la réussite de cette épreuve était primordiale pour la suite, parce que si il échouait il devait croire Nysa.

Et finalement : ça l’énerve. Une goutte de sueur glisse contre la tempe du Sielle, qui grogne de frustration alors qu’il détache ses mains du métal devenu brûlant à force de voir sa structure modifiée. L’homme lance un regard à son épouse, et un milliard de choses se passent dans sa tête. Il a déjà bien trop lutté, et il ne sait pas pourquoi mais…

Il l’embrasse. Sans le réaliser, sans comprendre ce qu’il fait, ni comment c’est arrivé, l’une de ses mains est venue prendre la nuque de la brune, avec violence, et la frustration du Sielle s’est écrasée sur les lippes de son épouse. Son cerveau ne répond plus, ses pensées sont empoisonnées, il oublie que celle qu’il a entre ses bras est celle qui le veut mort. Noah glisse un bras autour de la Sielle, et l’attire contre lui. Il la soulève même, l’inconscient, laissant ses jambes s’enrouler autour de ses hanches. En une poignée de secondes à peine, il a allongé son dos sur son lit de femme esseulée, emprisonnée entre le matelas et lui, désormais.

Il s'éloigne, et Nysa ne peut rien faire pour le retenir. Un pas en arrière, puis un autre, comme si la seule présence de la louve à ses côtés lui était insupportable. Dégoût ou tentation, peut-être un mélange dangereux des deux, la reine n'en sait trop rien, et ça la frustre d'autant plus. Laissant son regard couler de l'armure jusqu'à son époux, elle se décide à lui répondre, même si son esprit est ailleurs, sa voix presque distante. « Ou les mutants. » Une pensée qui lui tord le cœur. Car lorsqu'elle pense aux mutants, c'est le visage de Neela qui s'impose dans son esprit. Comment pourrait-elle seulement faire la guerre à un sang qui était aussi celui de sa fille?

Rappelée à la situation actuelle par les mouvements de Noah à côté d'elle, Nysa suit du regard la silhouette de son époux, désormais débarrassé de sa veste. Damnée soit-elle pour les pensées qui lui traversent l'esprit à cet instant et qu'elle s'empresse de réprimer. Ses prunelles s'arrachent à la contemplation pour venir se poser à nouveau sur l'armure, seule zone de répit au milieu de ce champ de bataille. C'est moins dangereux ainsi, car si la louve s'attarde un peu trop à détailler le corps de son époux, les lignes qui se dessinent sous sa chemise blanche, elle n'est pas certaine de ne pas faire quelque chose qu'elle finirait par regretter amèrement.  

Finalement, Noah persiste, cherche une fois de plus à remodeler le métal à sa guise. Obstination poussée à l'extrême, la louve ne sait pas si c'est le désir de lui prouver qu'elle a tord, de continuer à croire qu'elle n'est qu'une vile manipulatrice et une menteuse, ou la frustration que le métal lui résiste, lui magnétron accompli, qui le pousse à agir de la sorte. Silencieuse, Nysa se contente de l'observer, quelque peu en retrait. Le métal obéit à son maître, tout d'abord, puis se tord en signe de protestation. Les lèvres de la louve se retroussent légèrement en un sourire discret face à l'échec de son époux, ou plutôt face à ce que ça signifie pour eux. Finalement, peut-être, allait-il admettre qu'il y avait une part de vérité à ses paroles. Et c'est ça, dont Nysa a besoin. Uniquement ça. Que le doute s'installe dans son esprit, suffisamment pour l'amener à réfléchir à la question et à considérer ses mots.

Le sourire meurt sur ses lippes rapidement alors que Noah se retourne pour l'observer. Frustration, colère, il y a bien des choses qu'elle parvient à lire dans le regard de son époux, et sur son visage tendu par l'effort. Mais il y a autre chose qui brille dans son regard, qui l'assombrit davantage. Et avant même que la Sielle n'ait pu mettre le doigt dessus, les lèvres de Noah sont contre les siennes. D'instinct, les lippes de la reine répondent à ce baiser avec ferveur. Le Sielle se fait violent alors qu'il l'attire à lui, une main plaquée contre sa nuque comme pour l'empêcher de s'échapper. Pourtant, Nysa n'a aucune envie de fuir. A son tour elle laisse ses mains s'accrocher là où elles le peuvent, à la chemise de son époux, à ses cheveux. Presque avec désespoir, elle s'abandonne à cet échange, alors que tout son corps brûle d'un désir qu'elle a refréné pendant des semaines, des mois, jusqu'à en oublier l'existence. Et lorsque Noah la porte, et la pose sur son lit, elle ne cherche même pas à protester. Refusant de le laisser lui échapper, elle ne laisse pas ses lèvres quitter celles du roi, comme pour continuer à le captiver, à l'hypnotiser. Car à chaque instant, il y a toujours la menace qui plane au-dessus de leurs têtes, celle qu'il finisse par réaliser ce qu'il est en train de faire, qui il est en train d'embrasser. Qu'il sorte de cette transe dans laquelle ils sont tous les deux plongés et l'abandonne. Alors Nysa refuse de lui laisser l'occasion de changer d'avis. Ses mains s'affèrent au niveau de sa chemise, et elles qui sont d'ordinaires si habiles, paraissent presque maladroites désormais. Alors au lieu de défaire chaque bouton avec attention, elle tire sur le tissu, la louve, laisse chaque bouton sauter sous la pression qu'elle y applique. Et qu'importe, si c'est comme ça que le Sielle devra sortir de sa chambre. Qu'ils le sachent tous, ce qui s'est passé dans cette pièce, la faiblesse dont ils ont tous les deux fait preuve. Car, au fond d'elle, tout ça a le goût d'une petite victoire pour la reine, un espoir que, peut-être, tout n'est pas perdu entre eux.

Lorsque Nysa a mentionné les mutants, Noah n’a pas relevé. Il refuse de penser ainsi, pas lorsque sa soeur, son cousin et sa fille partagent ce sang que l’on dit souillé, pourtant. Il sait le mal que ça fait à Cassandra, et il ne veut plus répéter ces erreurs. Même si il se méfie des mutants, il ne peut les traiter comme les rouges, ces êtres abjectes qui ont assassiné son frère.

Et finalement, de toute manière, Noah n’y pense plus. Tout est oublié quand l’armure lui résiste, et que, de frustration et de colère, il décide de reporter toute cette énergie destructrice sur Nysa. Mais avec ses sentiments qui s’en mêlent, les instincts du Sielle s’en trouvent modifier. Là où il aurait voulu frapper, il caresse. Là où il aurait voulu trancher d’une lame acérée, il pose ses lèvres, et mêmes ses crocs, fauve affamé qu’il est devenu entre les bras de son épouse. La peau de la louve se colore sous ses assauts répétés, car elle est sienne et il ne le lui laissera pas oublier. Le brun choisi d’ignorer une autre vérité, cependant : il est sien, lui aussi. Et elle veut s’en assurer, en refusant de le lâcher, en refusant de lui offrir le moindre répit. Elle lui arrache sa chemise, les boutons valsant quelque part sur le lit, certains roulent au sol, aucun ne résiste à la force de la Sielle, qui parvient à ses fins. Si Noah s’en offusquera plus tard, il n’a pas le loisir d’y penser maintenant, alors que sa bouche picore l’épiderme de la fille du nord.

Il se redresse, cependant, le corps bloquant celui de Nysa contre le matelas, une de ses mains autour de son poignet droit, qu’il a plaqué contre l’oreiller, et l’autre près de son corps, enfoncé dans les draps pour éviter de tomber sur elle. Il observe son corps, un instant, de ses yeux à ses lèvres, à sa gorge où deux tâches rougeâtres naissent et s’accentuent, à sa poitrine à moitié dévoilée par la robe de chambre en satin défaite par leurs mouvements. Comment résister à la reine ? Même lorsqu’il la détestait, il n’y parvenait pas.

Il revient embrasser sa peau, mordille son oreille, et lui souffle, là « A la moindre fraicheur, je t’égorge. », un souffle menaçant, preuve qu’il n’a pas oublié quelle menace il tente de contrôler, quelle femme il tente de soumettre sous son corps. Il n’hésitera pas, ce sera elle ou lui. Qu’elle tente la moindre chose, qu’il ait le moindre doute, il utilisera le métal de son palais pour faire couler le sang sur le lit royal.

Et après avoir soufflé son avertissement, le brun continue de conquérir ce corps comme un territoire ennemi qu’il aurait arraché aux mains de ceux qui lui veulent du mal. De ses lippes, de ses dents, il appose sa domination partout. Jamais il n’aura été aussi clair dans ses attentions, jamais il n’aura tenté de la réduire à un rôle si mineur.

Voilà que Nysa le laisse prendre le dessus sans objection, peut-être pour le garder là, au plus près d'elle. Elle le laisse marquer sa peau, savoure même la sensation de l'émail qui frôle l'épiderme. Elle lui concède quelques victoires, comme on le ferait lors d'une guerre qui s'éternise, pour espérer remporter la bataille plus tard.

Noah finit par se redresser, et déjà Nysa aimerait le forcer à revenir à ses lèvres, à sa peau. Pourtant, le roi prend son temps, il l'observe, et la louve se demande ce qu'il peut bien penser de tout ça. Est-il déjà en train de regretter ce qu'il est en train de faire? Si la reine sait qu'elle n'aura pas de regrets, elle sait aussi qu'elle n'est pas vraiment en position d'en éprouver. Car c'est lui qui la déteste, lui, qu'elle a voulu assassiné, et lui, qui retombe tout de même entre ses bras, la tentation trop forte pour y résister. Elle se féliciterait presque, si seulement elle avait mis tout en oeuvre pour le faire craquer, si seulement tout cela faisait partie d'un plan bien orchestré. Mais non, semble-t-il simplement que l'attraction qui les lie est bien trop forte pour qu'ils puissent y résister. Ça a toujours été ainsi, en vérité. Les années de mariage passées à se haïr n'ont jamais empêché la passion de voir le jour. Alors non, Nysa n'éprouvera pas de regrets aujourd'hui, car ce qu'elle ressent n'a pas changé depuis ces dernières semaines. Car même si désormais, c'est de la haine qu'elle lit dans le regard de Noah, ses sentiments sont toujours les mêmes. Un amour qu'elle ne parvient pas à oublier, même après deux mois passés dans cette prison dorée. Malgré ça, malgré la frustration et la colère qu'elle peut ressentir, rien ne saurait lui faire oublier les sentiments qui sont nés sans qu'elle ne le remarque, et qui la consument désormais. Alors, même si ce soir, tout ce que le tigre est prêt à lui offrir est une passion teintée de haine, elle l'acceptera, la shiver, même si son cœur brûle de plus, d'une tendresse et d'une intimité à laquelle elle a goûté mais qu'il ne lui offrira plus, elle le sait.

Le souffle contre sa peau, les mots murmurés à son oreille la font frissonner. La menace n'est même pas voilée, à quoi bon faire comme si tout cela était normal. Un rictus moqueur étire les lèvres de la louve malgré elle, une nature qu'elle ne parvient pas à refouler. « Tu sais comment parler aux femmes. » Elle le provoque un peu plus, cherche à attiser le flamme qui brûle entre eux. Elle sait qu'il est sérieux, qu'il mettra à exécution ses menaces si elle lui en donne l'occasion. Mais elle ne le fera pas. Au lieu de ça, elle laisse son corps répondre aux assauts répétés du brun. Oubliée la volonté de laisser son époux avoir le dessus, c'est plus fort qu'elle. Une lutte s'engage entre les deux, chorégraphie savamment répétée, alors que chacun tente d'asseoir sur l'autre sa supériorité. Là où Noah vient apposer sa marque avec ses dents, se sont ses ongles qui se plantent dans sa peau. Puis se sont ses mains qui glissent contre l'épiderme, qui redécouvrent ce corps qu'elle n'a plus touché depuis des semaines. D'une certaine façon, tout semble identique. Cet échange, c'est eux, il y a quelques années, au début de leur mariage, et même après encore, lorsque la haine était le seul vaisseau de leur désir, la seule manière pour eux de s'exprimer. Mais en même temps, c'est différent, très différent de ce qu'elle a connu ces derniers mois. Là où avant, l'amertume ne laissait pas de place à certaines émotions, l'amour lui a fait connaître quelque chose de totalement différent. Quelque chose qu'elle avait depuis longtemps oublié, un souvenir lointain, fugace, presque une illusion. Elle a connu autre chose, quelque chose de plus fort que tout ce qu'elle a pu connaître auparavant, et elle y a pris goût, la louve. Alors ce soir, même si elle n'y pense pas sur l'instant, même si c'est le corps de Noah qu'elle a contre le sien, même si cet instant semble fort, même si s'était suffisant pendant des années, elle sait que ça ne le sera pas, aujourd'hui. Elle sait que, lorsque Noah partira, elle ne pourra empêcher le vide de s'emparer de sa poitrine, alors qu'elle aura laissé une partie de son cœur avec lui.

Noah ne répond pas à la jeune femme, mais se contente de serrer un peu plus son emprise sur son poignet pour lui faire comprendre qu’il ne rigole pas, et qu’il mettra sa menace à exécution si il le faut. Mais la brune semble le comprendre, car tout ce qu’il obtient ne sont que ses lèvres, et ses jambes autour de lui, qui tentent de renverser la situation, peut être, qui luttent contre la position de domination du Sielle. Lui ne se laisse pas démonter, même quand elle fonce ses ongles dans la peau de son dos, marquant de leurs ébats la peau de porcelaine du roi. Il ne s’en offusque pas, car juste après ses mains caressent sa peau.

Noah est incapable de montrer de la tendresse envers sa femme. Pourtant, l’amour qu’il éprouve pour elle est si fort qu’il en est arrivé là, à retourner entre ses bras pour quelques minutes de répit. Il peut enfin respirer, alors qu’il s’autorise à être faible. Mais il reste incapable de lui montrer la moindre tendresse. Les gestes sont brutaux, les dents carnassières. Ses doigts s’enfoncent dans la cuisse de la brune, quand il la ramène contre son flanc. Il a presque envie de se montrer violent, plus violent, pour lui rappeler qu’elle n’a pas le droit de se satisfaire de ces ébats. Il a envie de lui faire mal, plus mal encore qu’elle le lui a fait. Il n’a pas envie de la satisfaire et pourtant il sait qu’elle aime autant que lui la violence de leur passion. En agissant ainsi il lui donne exactement ce qu’elle voulait, et pourtant, il aurait dû résister encore, et l’ignorer, la laisser seule dans sa chambre avec ses pauvres souvenirs pour lui tenir chaud en cette nuit éternelle.

Mais alors lui serait resté seul aussi, à tourner en rond dans un palais immense, à attendre qu’assez de temps passe pour qu’il puisse la tuer, ou divorcer, et en trouver une autre. Mais quelle autre, de toute manière ? Sa bouche contre son corps se fait plus douce, parce qu’il sait qu’il l’aime, et que lui faire trop mal le tuerait. Il laisse même un instant le bout de sa langue glisser contre son épiderme, sur une dizaine de centimètre, un geste de tendresse qu’il n’aura plus une seconde fois. Car après, leurs regards se croisent, et il se souvient qu’il ne doit pas lui faire confiance.

Les époux se sont débarrasser de leurs vêtements tellement vite que Noah n’a qu’eu le temps de s’en rendre compte. A nouveau, il s’autorise un regard sur le corps de sa femme. La beauté de la Sielle est à se damner, et Noah sait que ce n’est pas maintenant qu’il pourra changer d’avis. Il refuse de lui donner l’ascendant, alors il mène la danse de ses gestes, agrippant ses hanches sans aucune douceur, il remonte ensuite sa main contre son ventre, sa poitrine, et puis sur sa gorge et l’arrête là. Le regard dur, le magnétron ne cache pas ses attentions. C’est lui qui doit dominer cette relation, toujours, toujours.

Le rapport de force est établi, et c’est finalement au bout d’une poignée de minutes que, le souffle court et le corps luisant d’une fine couche de sueur, Noah s’allonge sur le dos un instant seulement. Il ferme les yeux, attentif à ne pas toucher un centimètre de peau supplémentaire de son épouse. L’instant se prolonge, c’est long mais au moins Noah peut reprendre sa respiration.

Et puis, il se lève, sans un regard pour elle. Ca serait trop dur, parce qu’il crève d’envie de rester là. Il crève d’envie de retourner près d’elle, de l’avoir contre son torse, de glisser ses doigts dans ses cheveux. De l’aimer, tout simplement, avec toute la tendresse dont il était capable… Mais ça, il n’en avait plus le droit. Alors il se rhabille, déjà. Et tandis qu’il enfile son pantalon, il s’adresse à la femme dans son dos. « Ca n’arrivera plus, je ne viendrai plus te voir. Si tu as quelque chose à dire, transmet le message à un garde, et si c’est important, à Achil ou Naegel. ». Il enfile sa chemise, qu’il coince dans son pantalon, et puis sa veste par dessus. Si il parvient à coincer le tissus sous la veste, ça n’empêche que l’état du vêtement est visible et le roi sait qu’il devra se rendre directement dans ses appartements.

Sans un mot supplémentaire, il ouvre la porte et s’en va, sans même l’avoir regardé une dernière fois.