Partout où ils allaient le chaos semblait les suivre à la trace. Ou peut-être était-ce seulement elle. Ange noir, elle ne laissait que désolation et tourment dans son sillage. Des semaines qu'elle n'avait pas participé à un événement officiel de la famille royale, et dès lors que Noah l'autorisait à sortir de sa chambre pour la faire parader, voilà que l'enfer semblait se déchaîner sur eux. La salle du trône, baignée de sang argenté, mais aussi du carmin irisé de leurs ennemis. Car c'était ce que les mutants avaient été, aujourd'hui. Des ennemis, des assaillants. Elle n'en doute pas une seule seconde, Nysa, ce sont les Dieux qui agissent ainsi, qui envoient sur eux ruine et désespoir. Peut-être pour les punir de ne pas écouter leur parole. Pourtant, la louve a rempli sa part de la mission, elle a transmis la parole des Dieux, et malgré tout, elle ne peut s'empêcher de penser que ce qui est arrivé aujourd'hui est en partie sa faute. Elle aurait dû faire plus, se montrer plus convaincante. Les images ne cessent de se rejouer en boucle dans son crâne. Elle revoit l'homme, son regard éclairé par cette lueur étrange. Il paraissait fou. Peut-être autant qu'elle lorsqu'elle parlait des Dieux. Elle se rappelle aussi de ses mots. Ils n'ont aucun sens pour elle, et pourtant il y en a forcément un. L'amour triomphera toujours sur la famille. Elle a l'impression que  ça va à l'encontre de tout ce que les Dieux ont tenté de lui faire comprendre. L'unité qu'ils lui ont démontré dans ses rêves, les animaux qui se dévoilaient dans les fragments du miroir brisé. Frères et sœurs, amants, ils sont tout à la fois, mais ne lui ont jamais parlé de privilégier l'un à l'autre. Au contraire, c'est la cohésion qui est censée les sortir de là, les aider à retrouver le chemin de cette lumière perdue. Dans le salon où elle se trouve, l'une des fenêtres de la pièce lui laisse apercevoir la lune, qui semble se moquer d'elle de là-haut. Nysa l'observe, songeant à cette nuit qui n'en finit plus. Elle a presque oublié la disparition du soleil, après toutes ces semaines. Habituée à l'obscurité permanente, au froid qui règne désormais à Rezbia. Pourtant, c'est là que tout a commencé. La disparition du soleil, la disparition de Prim. Peut-être est-ce là, qu'elle doit poursuivre ses recherches. En se concentrant sur les rêves, elle a occulté toute une autre partie de ce qui leur arrive. Peut-être est-ce là que réside la solution. Peut-être que pour parvenir à rétablir l'équilibre des choses, c'est Prim qu'ils doivent retrouver. Ensemble.

La louve secoue doucement la tête face à ses propres divagations. Elle ne sait pas combien de temps est passé depuis que son époux lui a dit d'attendre ici, dans ses appartements, à lui. Tout s'est enchaîné bien trop vite lorsqu'ils sont enfin parvenus à quitter la salle du trône. On les a examiné, chacun leur tour, pour s'assurer que la famille royale n'était pas blessée. La fillette qu'ils ont sorti de cet enfer a été confiée à des soignants, placée sous surveillance auprès d'autres mutants, et d'autres victimes. Elle aurait voulu ne pas la laisser, Nysa, mais la gamine avait fini par s'endormir, épuisée après avoir tant hurlé et pleuré. Elle savait que c'était plus sûr, pour l'instant, tant qu'ils ne savaient pas si toutes ces attaques étaient terminées. Puis ils étaient allés voir Nathanael, ensemble, pour s'assurer que le garçon n'avait rien. Il avait été presque surpris de les voir, tous les deux, ignorant tout du drame qui s'était joué dans une autre aile du palais, occupé à jouer en compagnie de son cousin. Puis elle s'était retrouvée ici, pendant que Noah s'afférait à régler des affaires urgentes en lien avec ce qui venait de se passer au sein même de son palais. Elle avait fait le tour du salon plusieurs fois, feuilleté quelques livres qui étaient rangés dans l'une des bibliothèques, mais son esprit ne parvenait à se concentrer sur rien d'autre que la situation actuelle et son époux.

Finalement, lorsque les gardes ouvrent les portes, Nysa est toujours debout, appuyée contre la fenêtre. Son visage se tourne pour faire face à Noah qui entre dans la pièce. Et, lorsque les portes se referment lourdement derrière lui, les laissant seuls dans la pièce, la louve se rend compte à quel point l'atmosphère lui semble lourde. Pourtant, ce n'est pas la première fois qu'elle revoit son époux depuis cette fameuse soirée où il est venu la voir dans sa chambre, mais c'est la première fois qu'ils se retrouvent à nouveaux seuls dans une pièce depuis ce jour. Et si c'était presque simple de faire abstraction de lui, de son magnétisme, lorsqu'ils étaient entourés par sa famille, par des gardes, ça l'est bien moins désormais. Même si elle aimerait détourner le regard, et le poser sur autre chose, elle s'en sent tout simplement incapable. Un mois est passé depuis ce soir, et pourtant, les sentiments que sa simple présence a ravivé sont toujours aussi forts. Si elle pensait avoir réussi à enfouir l'amour qu'elle ressentait pour lui afin de rendre son absence et son mépris moins douloureux, il n'a fallu qu'un regard, un mot, un baiser pour qu'il refasse surface avec force et ne la quitte plus. Même si cet échange était teinté de haine, c'était quand même quelque chose, et ça, son cœur ne parvient pas à l'oublier, ni à passer au-dessus, semble-t-il. Aujourd'hui, elle aimerait profiter de sa présence pour lui dire tant de choses, mais elle sait que ça n'est pas le bon moment. Pas après ce qui s'est passé aujourd'hui, pas sans connaître le fond de sa pensée sur ce qui s'est passé entre eux, il y a quelques semaines. Elle aimerait savoir s'il regrette d'avoir posé son regard sur elle, de l'avoir touché, de l'avoir embrassé. Elle aimerait savoir s'il se déteste pour ça, autant qu'elle se déteste de les avoir mis dans cette position là en premier lieu. Elle se demande, où est-ce qu'ils en seraient, s'il n'avait jamais découvert la vérité, ou si elle n'avait jamais comploté contre lui en premier lieu. Seraient-ils heureux, aujourd'hui, malgré tout ce qui se passe sur le continent? Certainement plus qu'ils l'étaient là, dans tous les cas. « Que s'est-il passé? Tu as plus d'informations? »

C’est un véritable massacre. Dans la salle du trône, quelques corps sont déplacés et, au milieu, des flaques de sang argenté tâchent le sol, et se mêlent à quelques trainées de sang rouge. Noah a le regard rivé sur l’une de ces flaques, un mélange entre sang argent et sang rouge. La représentation du sang mutant, devant ses yeux. A côté de lui, un capitaine de son armée vient lui informer que tout le monde a été évacué, et que les assaillants ont été enfermés. Noah hoche la tête, lui-même couvert d’un peu de ce sang, sur sa veste, et ses chaussures. Il a encore le bouclier qu’il a forgé dans le chaos, il repose contre ses jambes, une main le soutenant doucement pour qu’il ne tombe pas. Le roi ne dit rien, encore marqué par la violence dont il vient d’être témoin.

Finalement, il ouvre la bouche. « Mes cousines ? », demande-t-il simplement. Le garde lui offre une réponse qu’il entend à peine, comme quoi elles sont toutes en sécurité. Il hoche la tête. « Allez chercher mon frère. », ordonne à nouveau le roi. Et quand Loras vient auprès de lui, Noah l’observe du coin de l’oeil. Lui aussi a l’air un peu amoché, mais moins que lui. « Des nouvelles d’Arabella ? », lui demande Noah, qui tourne finalement la tête vers son cadet. Celui-ci hésite un instant, avant de hocher la tête. « Elle était avec Themyskira. » Le roi plonge à nouveau son interlocuteur dans un silence forcé, son regard partout ailleurs. Il récupère le bouclier - et se rend compte qu’il est bien plus lourd que dans ses souvenir - et va le poser contre un mur. Puis il revient vers Loras. « Je vais voir Nysa. », l’expression de son frère est limpide, et Noah aurait préféré ne pas le comprendre si bien. Pourtant c’est difficile de faire autrement, alors qu’ils se connaissent aussi bien que deux Sielle le doivent. « Elle ne me fera rien. », souffle Noah avant de s’en aller. Derrière lui, il ignore que Loras s’est retourné, peu convaincu, mais peu désireux de se mettre en travers de la route de son ainé.

A peine entré dans la pièce, la porte refermée derrière lui, Noah regrette d’être venu. Lorsque son regard croise celui de son épouse, les sentiments sont contradictoires mais avant même qu’il ait pu laisser la colère, l’amour ou l’inquiétude prendre le dessus, elle ouvre la bouche pour lui poser une question. Sans doute pour couper court aux potentielles réactions qu’il aurait pu avoir. Noah n’y réfléchi pas. « Pas encore, il est trop tôt pour le dire. Les agents vont interroger les assaillants. » Il s’installe sur un fauteuil, ne se souciant pas de la crasse qu’il porte sur lui. « La gamine va bien, mais personne ne connait son prénom. », souffle-t-il finalement. Devraient-ils en désigner un, pour elle ? « On l’a sauvée. », ajoute Noah. On l’a sauvée, elle, au moins. Et il sait qu’elle comprendra son regard, quand il lève les yeux sur son épouse.

C’est le silence qui accueille les paroles du Sielle, et en guise de seule réponse, Nysa se contente de hocher la tête. Elle sait qu’il est encore trop tôt pour obtenir des réponses, et au fond, elle n’est pas certaine que le temps et les investigations des agents leur permettront d’en obtenir. Quelque chose au fond d’elle lui crie que tout ça n’a rien de naturel, que c’est bien différent des attaques du défilé. Elle espère seulement qu’elle ne sera pas la seule à réaliser cela.

Finalement, Noah s’installe sur un fauteuil, et la louve reste un instant à l’observer, immobile. Son regard détaille la silhouette de son époux, ses cheveux décoiffés, les traits de son visage tirés, l’argent et le carmin qui viennent tâcher ses vêtements. Elle imagine qu’elle ne doit pas avoir l’air beaucoup plus soignée, avec son chemisier froissé, son pantalon éclaboussé de sang. Pourtant, même ainsi, lorsque Nysa l’observe, elle n’arrive pas à ignorer l’aura qui s’échappe du magnétron, celle d’un roi, envers et contre tout.

Le Sielle poursuit, et, à son tour, la reine s’approche pour s’asseoir sur un fauteuil. D’un simple geste, elle se délaisse de ses talons, sans savoir pourquoi elle ne l’a pas fait avant. Noah mentionne la petite fille, la mutante devenue orpheline, désormais. Elle se rappelle de l’expression vide sur le visage de sa mère, de son corps sans vie contre lequel la fillette se pressait. Elle sent son cœur se serrer à ce simple souvenir, mais c’est pire lorsque son époux continue, et que son regard vient croiser celui de la shiver. Il n’a pas besoin de formuler ses pensées à voix haute, seul son regard suffit à lui faire comprendre à qui il pense. Neela, qu’ils n’ont pas pu sauver, malgré tous leurs efforts. Elle a parfois l’impression qu’ils n’en ont pas fait assez, qu’ils auraient pu faire plus. Pourtant, au fond, elle sait que c’était peine perdue, que leur fille était condamnée dès le début. Alors oui, ils ont réussi à la sauver, elle, cette petite fille inconnue, mais n’ont pas réussi à sauver sa famille. Elle s’en veut, Nysa. Car quelle vie attend cette enfant, sans père ni mère? L’orphelinat, voilà l’endroit où on se débarrassera d’elle, où on l’oubliera. Pourtant, elle ne peut s’y résoudre, à abandonner cette petite fille à son sort. « Peut-être qu’elle parviendra à nous dire comment elle s’appelle quand elle sera plus calme. » Elle l’espère, car l’idée de devoir la renommer, de lui arracher la seule chose qui lui restera de sa mère, lui serre le cœur. « On l’a sauvée, oui. » Nysa pousse un soupir avant de ferme les yeux quelques secondes. Sa main vient de porter à ses tempes, elle a l’impression que l’on enserre son crâne dans un étau. Elle sait que c’est le résultat de l’adrénaline qui disparaît de son corps, de la fatigue et de la réalisation qui s’abattent sur elle. « Mais elle n’a plus aucune famille. » Elle finit par ouvrir à nouveau les yeux, pour les poser sur Noah. « A quelle vie l’avons-nous condamnée? » Ça lui brise le cœur, de penser à tout ça, et pourtant, cette discussion semble plus simple à avoir que tout ce qu’ils auraient à se dire, tous les non-dits et les explications qu’ils devraient avoir. C’est plus simple, de parler d’autre chose, et de ne pas parler d’eux.

Le regard du roi suit la shiver tandis que celle-ci se déplace jusqu’à un fauteuil en face du sien, sur lequel elle prend place. Là, ses prunelles se posent sur ses pieds, qui se débarrassent de ses chaussures à talon. Le brun garde un instant ses prunelles sur les chaussures abandonnées au sol, avant de lever les yeux vers elle lorsqu’elle ouvre la bouche pour exprimer ses pensées. Noah soupire, sans rien dire. Il laisse Nysa terminer, et quand elle arrive à la fin de ses réponses, alors l’homme laisse encore planer un léger silence.

Encore une fois, les sentiments contradictoires se font la guerre dans son esprit. Il aimerait pouvoir effacer toutes les semaines qui les ont séparés, et adoucir l’amertume de ses sentiments en la prenant dans ses bras. L’envie de Noah se transforme en besoin, comme lors de leur dernière entrevue. Mais désormais il sait qu’il est capable de craquer, et le Sielle ne se l’autorisera pas. Qu’elle lui manque n’y change rien…

« Peut être. », répond-t-il simplement, avant de continuer. « Au moins elle vivra…. », il réfléchi, le brun, alors qu’il souffle ces mots. Son regard se pose sur la fenêtre, la lune qui brille au dehors. Peut-il vraiment relâcher dans la nature une gamine de l’âge de Neela, après l’avoir tirée lui-même du chaos qui s’était joué dans la salle du trône ? Lentement, une idée se forme dans son esprit. Il fronce les sourcils, le regard toujours posé au dehors.

Noah a toujours voulu d’une grande famille. Plusieurs enfants… Il pouvait se le permettre, en tant que roi il avait assez de finances pour nourrir tout un peuple, une bouche de plus ou de moins ne représentait rien, pour lui. Un enfant de plus à éduquer, à protéger, à entrainer. Ca ne représentait rien. Mais tous ses espoirs étaient morts en même temps que sa confiance pour Nysa. Son regard se repose sur elle, désormais. Il avait dû abandonner ses envies d’agrandir sa famille parce qu’elle ne pourrait jamais lui donner d’autre héritier. Garder Nathanael loin d’elle était déjà assez compliqué - et Noah savait que de récents évènements l’avaient poruvé.

« Si aucune famille ne la réclame, elle sera notre pupille. », il prend la décision sans même le lui demander, après tout, avaient-elle encore un avis à lui demander ? Pourtant il sait que ça lui plaira, d’avoir un autre enfant dont elle pourrait s’occuper. « Et Nathanael ne sera plus fils unique. », et il enchaine. « Et tu pourras éviter d’aller le voir quand je te l’interdis. », alors que leur conversation avait débuté en douceur, Noah revenait sur le centre du sujet qu’il voulait aborder initialement avec elle. La colère est présente, il balaie avec facilité le sujet précédent pour amener celui-ci.

Elle sait qu'il a raison, et qu'en sauvant cette enfant de la salle du trône, ils lui ont offert une chance de vivre. Malgré tout, Nysa a l'impression que ça n'est pas assez, tout comme ça ne l'était pas à l'époque pour Neela. Et elle sent que tout ça dérange Noah également. Elle le voit, sur son visage, la réflexion qui vient donner à ses traits un air encore plus sérieux. Son regard n'est plus posé sur elle, mais sur la fenêtre, qui laisse apercevoir la lune, même de là où ils sont assis. Il s'absente, son corps toujours là, dans la pièce, mais son esprit, plus vraiment. La louve aimerait pouvoir savoir ce qui se passe derrière les prunelles sombres de son époux. Elle aimerait pouvoir comprendre ce qui se joue dans sa tête, voir les rouages des mécanismes qui tournent, devenir à nouveau le réceptacle de ses doutes et de ses certitudes. Elle aimerait retrouver cette complicité qu'ils ont partagé pendant quelques mois seulement, qui les a rendu plus forts. Depuis qu'ils se déchirent, tout semble s'écrouler autour d'eux, et Nysa se demande si tout ça n'est qu'une coïncidence, ou si ça signifie quelque chose de plus.

Finalement, le regard de Noah glisse à nouveau sur elle, et, avant qu'il ne reprenne la parole, la louve a presque l'impression de pouvoir deviner ses intentions dans ses prunelles. Comme une réminiscence de ce lien qu'ils ont partagé, qui n'a pas été totalement détruit, pas même par la trahison, qui ne pourra jamais vraiment l'être. Alors, lorsque les mots quittent les lippes du roi, elle n'est pas vraiment surprise, Nysa. Ni par cette décision, ni par le fait que ça soit la première solution à laquelle il ait pensé. Car elle connaît Noah, sait à quel point la famille est importante pour lui qui a toujours grandi entouré de l'amour des siens. Elle sait qu'il ne pourrait pas abandonner une enfant à un tel sort, à grandir sans famille, sans amour. Elle le sait, car c'est ainsi qu'il est, sous l'armure de métal qui protège son cœur. Elle l'a compris depuis longtemps désormais, que Noah n'est pas l'homme froid et indifférent qu'il donne l'impression d'être, que derrière le roi, il y a un homme qui ressent les émotions avec une intensité particulière. C'est bien pour ça que la trahison fait si mal, car elle sait ce qu'elle a brisé entre eux, elle sait que l'homme, bien plus que le roi, ne pourra jamais lui pardonner sa faute.

Elle s'imagine, Nysa, avec la fillette dans leur château. Elle s'imagine être une mère pour cette petite fille, lorsqu'elle sera prête à l'accueillir comme telle. Elle imagine qu'il faudra du temps, et que tout ça ne sera pas simple, même si l'enfant est jeune, elle sait que le souvenir de sa mère restera gravé dans sa mémoire. Elle imagine que Nathanael sera content de cette situation, une fois qu'il l'aura accepté. Il est déjà bien trop mature pour son âge, façonné par les derniers mois, les événements qui ont ébranlé leurs vies. Elle aimerait réagir aux mots, douloureux, de son époux, lui dire que leur fils n'est pas enfant unique, qu'il ne le sera jamais, même si elle comprend où il souhaite en venir. Il y aura toujours Neela, dans leurs cœurs, et l'ombre de son absence dans leurs vies. Tout ça ne changera rien à leur peine, à ce vide qui ne sera jamais comblé. Mais la louve n'a pas le temps de dire quoi que ce soit, car Noah enchaîne sur un autre sujet, qui semble couper court à leur ancienne discussion. Elle sent la colère vibrer autour du roi, probablement car elle lui a désobéi, car elle a profité de son absence pour aller à l'encontre de ses directives. Mais la Xi'nora ne regrette pas son geste. Sa voix est calme, lorsqu'elle prend enfin la parole pour répondre à son époux. « Je pense que Nathanael avait besoin d'avoir au moins un de ses deux parents auprès de lui. » Nysa soutient le regard de son époux, gonflée d'assurance alors qu'elle est certaine de ne pas avoir tord, pas aujourd'hui. Elle se souvient avoir pris cette décision sur un coup de tête, partagée entre la colère et l'inquiétude de savoir Noah si loin du palais, à mettre sa vie en danger sans qu'elle ne puisse rien y faire, et Nathanael seul ici, sans père ni mère pour le rassurer. « Combien de temps encore vas-tu me garder loin de lui? »

La nouvelle ne semble pas surprendre Nysa, et quelque part… Noah s’en doutait. De ce qu’il connait de son épouse, elle aussi a besoin d’avoir une famille, aussi grande que possible. Leurs enfants, ils n’avaient jamais décidé de les avoir. Ils n’avaient jamais décidé de les avoir, ils étaient arrivés, issu de moments où la colère était telle que nul ne pouvait retenir les pulsions de l’attraction qui les animaient. Mais la conversation à ce sujet est coupée court par le Sielle, qui veut désormais arriver au coeur du sujet.

« Pour que tu lui expliques que son horrible père veut vous diviser ? », la colère est revenue en force, d’un coup. A peine a-t-il pensé à la l’hypothèse de la louve protégeant son petit, et faisant de lui son allié à elle et son ennemi à lui que ça l’a rendu fou. Car un félin ne saurait accepter de voir sa descendance, son héritier, être éloigné de lui et pire encore : devenir un rival et un danger à sa vie. A bout, Noah se lève et retire sa veste tâchée, qu’il jette sur le canapé qu’il vient de quitter. A fleur de peau, l’homme ne peut s’empêcher d’avoir des réactions imprévisibles et parfois violentes quand il est en présence de celle qui fait ressortir tant d’émotions en lui. Il aimerait que cela s’arrête, ça serait plus simple mais dès qu’il pose son regard sur elle, il l’imagine comploter contre lui. Il aurait aimé entendre ce qu’elle disait dans son dos, quels complots elle avait imaginer avec ses amies les veuves. Veuve, elle ne le sera jamais, car Noah comptait bien sur le fait qu’elle expirerait son dernier souffle avant lui.

La question de la jeune femme le surprend. N’avait-il pas été clair ? « Tu ne le reverras jamais sans moi, je pensais avoir été clair. », répond le roi. « Je n’ai pas confiance en toi. », et le fait qu’elle l’ait sauvé quelques heures auparavant ne pouvait pas se mettre en travers de son jugement. Il devait garder la tête froide, même si c’était incroyablement compliqué avec la présence de la louve dans les parages. « Je ne pourrai jamais avoir confiance en toi, comment peux-tu croire que cette situation peut un jour changer ?! Tu as fait preuve de haute trahison, et plus que ça… », il s’énerve, sa voix s’emporte, elle tonne dans la pièce et prend toute la place, s’engouffre dans tout l’espace, car rien ne pourrait se mettre en travers de la colère du roi. Finalement il secoue la tête, il a un geste de la main, comme si il balayait le sujet, et pourtant son esprit, lui, n’a pas fini. Il aimerait le lui dire, oser exprimer ses sentiments. Tu m’as brisé le coeur.

Il s’agite, le Sielle, comme si c’était lui l’animal en cage, comme si les rôles étaient échangés. L’espace d’un instant, Nysa se demande s’il n’y a pas une part de vérité à tout ça. Peut-être que cette prison est aussi devenue la sienne, au fil des semaines. Piégé par ses propres états d’âme, par ses doutes. La colère se déverse de Noah par vagues, mais elle l’effleure à peine. Aujourd’hui, elle ne se laisse pas affecter par les réactions de son époux, presque lassée d’entendre les mêmes mots sortir de sa bouche. Comme si, en tout temps, il était nécessaire que l’un d’eux garde la tête froide, au risque d’entrer en collision, comme deux étoiles qui détruiraient tout sur leur passage. La louve se contente de secouer doucement la tête. « Tu as toujours été un excellent père pour Nathanael, pour Neela. Je ne souhaite pas que notre fils pense autre chose de toi. » Car la reine ne sait que trop bien ce que c’est de grandir avec un père abject, cruel, détestable. Elle l’a détesté pendant tant d’années, et le hait encore d’avoir laissé une telle empreinte sur sa vie. Non, ce n’est pas contre le père de ses enfants, qu’elle en avait. C’était contre l’homme qui était son mari. Un père exemplaire, mais un époux exécrable. Elle sait que cette description lui correspond aussi, même si elle aimerait que ça ne soit pas le cas. Elle aimerait se savoir blanche colombe, à qui l’on ne pourrait rien reprocher. Mais la shiver n’a jamais réussi à se complaire dans le rôle de victime.

Débarrassé de sa veste, jetée négligemment sur le canapé qui lui fait face, Noah poursuit, balayant tous les espoirs de la louve. Naïvement, presque, elle a espéré que cette histoire finisse par se tasser. Du moins, en ce qui concerne leur fils. Elle sait que l’espoir n’est plus permis lorsqu’il s’agit d’eux, n’est même pas certaine qu’il existe encore un eux, à vrai dire. Nysa l’écoute, elle le laisse s’emporter, sent qu’à nouveau sa patience menace de céder et la colère de le submerger. De son propre fauteuil, la louve l’observe, le visage impassible, malgré son cœur qui se serre dans sa poitrine. La confiance est brisée, définitivement. Comment pourrait-il en être autrement, après tout? Elle aimerait que Noah poursuive, qu’il termine sa phrase, qu’il lui expose le fond de ses pensées. Mais il s’abstient, toujours, car pourquoi lui dévoilerait-il sa vulnérabilité? Ils n’ont plus rien à partager l’un avec l’autre, si ce n’est leur haine et leur tristesse. « Je sais, Noah. » Elle soupire, la tristesse désormais perceptible dans le ton de sa voix. « Je sais. » Elle se redresse légèrement sur le canapé, sans quitter le fauve des yeux. « J’ai accepté le fait que tu ne pourras jamais me pardonner ce que j’ai fait. Qu’il n’y aura plus jamais rien entre nous. » Elle l’a accepté, mais ça n’en reste pas moins douloureux, en particulier lorsqu’il est là, si près d’elle et en même temps si loin, hors de portée. « Mais je ne pourrais pas accepter de rester séparée de notre fils. Je ne le supporterais pas. » Avant qu’il ne puisse interpréter ses paroles, la jeune femme poursuit. « Ce n’est pas une menace, simplement une vérité. Je ne ferais rien contre toi, contre le Royaume. » Elle se tait un instant. Ses prunelles quittent le visage de Noah pour venir se poser sur ses mains. Elle y a pleinement réfléchi, alors elle sait que les mots qu’elle s’apprête à prononcer ne sont pas des paroles lancées dans le vent. « Tu peux me priver de beaucoup de choses, Noah, et à raison, mais me priver de Nathanael, alors que tu sais ce qu’il représente à mes yeux, c’est plus que ce que je peux accepter. » Un nouveau soupir, avant qu’elle ne poursuive. « Et c’est sûrement la punition parfaite à tes yeux, bien plus douloureuse que la mort. Mais autant m’ôter la vie moi-même, si c’est pour passer une vie loin de mon fils, et devenir presque une inconnue à ses yeux. » Et elle sait qu’elle finira par le faire. Plutôt ça, que de finir par voir Nathanael nourrir de la rancoeur envers cette mère absente. Car bientôt, ce n’est que comme ça qu’il la verra. Il oubliera les premières années de sa vie pour ne se souvenir que du fantôme qui faisait quelques apparitions auprès de son père.

Noah rive son regard un instant sur le visage de son épouse. Il se ment à lui-même quand il se persuade qu’il n’y voit aucune once de sincérité. La vérité c’est qu’il ne peut pas se faire confiance. Car il l’a cru, quand elle lui a dit qu’elle serait toujours là, qu’il ne la perdrait pas. Pourtant elle avait raison, si elle avait été au bout de son plan, il ne l’aurait pas perdue… Il aurait simplement perdu la vie. Alors le brun secoue la tête, décidé à ne pas la croire, il préfère ne pas répliquer.

Et finalement quand il met le point sur le vrai problème, il se tait à nouveau. Impossible de la laisser savoir ce qu’il traverse, la difficulté qu’il a à vivre sans elle. Il refuse de la laisser entrevoir toute l’étendue de ce vide qu’elle a laissé en lui. Il pensait qu’elle s’énerverait, mais non. Le ton doux, presque brisé de la Sielle le prend au dépourvu. Il l’observe sans un mot, une main se glissant nerveusement dans la poche de son pantalon. Pourquoi continuaient-ils à s’infliger ça ? Mais l’acceptation de Nysa de la fin de leur relation n’est pas ce qui l’achève réellement - après tout, c’était lui qui en avait décidé ainsi, et c’était elle qui en était l’instigatrice. Non, c’est quand elle parle de leur fils que les yeux de Noah se plissent légèrement, que son regard se fait perçant, que son coeur loupe un battement.

Est-elle désormais en train de menacer de se prendre la vie ? Noah a bien entendu, et l’idée même de la perdre irrémédiablement lui est insupportable. Il respire un peu plus fort - un peu plus difficilement, peut être - tandis qu’il secoue la tête. « Nysa… », il cherche ses mots, pour une fois le roi a des difficultés à les trouver. Il réfléchi quelques secondes, le regard posé ailleurs que sur elle. Il déglutit, et s’humidifie les lèvres. « Que d’autres veulent ma mort, je m’en fiche. », à nouveau, leurs prunelles se rencontrent. Avec une douce violence, un impact contrôlé et pourtant destructeur. Noah ne parvient pas à regarder ailleurs, il est hypnotisé par la profondeur du regard de son épouse. « Mais tu es la mère de mon héritier, je te faisais confiance, tu pouvais tout avoir, je t'aurais tout donner. » je t’aimais, mais ça non plus, le brun ne le dit pas. « Je ne te prive pas de Nathanael. », finit-il par ajouter. « Je protège ma famille. », je ne suis pas un Xi’nora, je ne jette pas les miens en pâture aux autres, a-t-il envie d’ajouter. Mais il s’abstient, ça ne sert à rien. « Nathanael est un Sielle. », souffle le roi, prudent, comme si elle pouvait s’arracher à la vie en un claquement de doigt. Elle le pourrait, avec son pouvoir, aussi terrible que le sien. Un éclat de glace planté au bon endroit, et son sang argenté tâcherait le fauteuil et le tapis plus rapidement qu’il ne pourrait appeler à l’aide pour la soigner.

Il ajoute, hésitant, incapable de contrôler ses propres émotions : « Tu dois rester en vie. », pour l’instant, du moins. Tant qu’il fait son deuil d’elle, elle doit rester en vie. Ses doigts se plient et se déplient, geste qu’il n’a que très rarement eu, lui qui contrôle ses émotions si facilement, d’habitude. Mais ce n’est plus le cas quand elle est dans les parages. « Je ne compte pas priver mon fils de sa mère plus que ce que la situation ne m’oblige à le faire. »