La sorgue venait de tomber sur la ville, étreignant celle-ci d’une obscurité dans laquelle l’Oublié se sentait tout à fait à son aise. Il était de ceux qui aimaient passer inaperçu, de ceux qui se mussaient dans les ombres pour exister, pour briller. Mais à Ibao, il n’était plus nécessaire pour eux de se cacher. Là-bas, on les accueillait, là-bas, ils étaient enfin acceptés pour ce qu’ils étaient réellement. Un ramassis de rejetés, qui trouvaient enfin une place. Bien que leur foyer était et resterait leur groupe, leur solidarité, ils savaient qu’à Ibao, ils n’avaient plus besoin de faire semblant. Une situation qui était permise grâce aux Silences et à l’alliance que Ferdinand allait sceller avec Kiel, leur dirigeant. En effet, ce soir se jouerait la conclusion d’un accord qui leur serait avantageux à tous. Conclusion à laquelle Aaron pourrait assister, notamment grâce au rôle qu’il avait joué dans le processus. C’était en effet lui qui avait été le contact des Oubliés des Améthystes auprès des Silences, lui qui avait fait passer les messages, qui avait été le pont entre les différents dirigeants. Position probablement favorisée par le lien qu’avait entretenu le Walsh avec les Silences, mais plus encore le passé commun qu’il partageait avec Aisling, le bras droit de Kiel. Qui plus est, mettre en danger Ferdinand n’aurait pas été sage, et Aaron avait été celui qui s’était proposé pour accomplir cette tâche, ayant préféré les intérêts de son groupe aux siens. Après tout, l’avenir des Oubliés des Améthystes promettait bien plus que son propre avenir. Alors c’était lui ce soir, qui accompagnait Ferdinand. Deux ombres qui se mélangeaient aux ténèbres ambiantes, deux silhouettes qui se mouvaient d’un pas déterminé vers le lieu de rendez-vous, où l’attendaient sûrement déjà les Silences. Un quartier général que les Oubliés pourraient occuper sur le territoire, tout autant qu’il serait une place forte des rencontres à venir entre les deux organisations.

La progression n’avait pas été difficile, Aaron se contentant de suivre son meneur au travers des rues vides, au regard de l’heure avancée. Le silence régnait, et Aaron n’ouvrait la bouche que pour répondre aux questions ou aux remarques de son supérieur hiérarchique. Jusqu’à ce qu’ils parviennent enfin à destination, et qu’Aaron prenne les devants, par mesure de sécurité. Le Venturion avait pleine confiance dans les Silences, mais un accident pouvait arriver très vite, et les Oubliés préféraient jouer la sécurité. L’existence de l’ambre n’était pas grand-chose, comparée à celle de son rubis. Aaron serait prêt à se battre jusqu’à son dernier souffle pour sa propre survie et ses propres intérêts, mais lorsqu’il était question de mettre son leader en jeu, sa vie pesait beaucoup moins dans la balance. Néanmoins, ils furent bien vite accueillis par un membre des Silences, qui avait probablement pour rôle de les attendre. Ce dernier, après un regard scrutateur et quelques questions, finit alors par les mener à Kiel et Aisling, ces derniers patientant dans une pièce non loin. Lorsqu’ils furent enfin seuls, le silence plana un instant, tandis que le regard d’Aaron se posa chaleureusement sur Aisling. Néanmoins, il se contenta de rester à sa place, de jouer son rôle. Ils étaient ici pour affaire, pas pour rattraper le temps perdu. Rien ne les empêchait malgré tout de discuter plus tard. Brisant alors le calme plat, Ferdinand fit un pas en avant, inclinant légèrement la tête en guise de salut, s’adressant à son égal chez les Silences, Kiel. - Je vous présente nos excuses pour ce léger retard. - Quelques minutes tout au plus, rien de grave, mais Ferdinand restait courtois. - Comme convenu, me voilà seulement accompagné d’Aaron, qui faisait le lien entre nous. - Le mutant ainsi visé inclina la tête à son tour, plus bas que Ferdinand, en signe de respect envers le dirigeant des Silences, mais également vers son bras-droit. Il se retint d’ailleurs de lui sourire, mais ne voulait pas qu’un tel geste soit mal interprété. C’est alors que le rubis reprit la parole. - Si cela vous convient, nous pouvons commencer. - Un léger sourire vint fendre les lèvres du leader des Oubliés, bien qu’il fût presque invisible. Mais c’est malgré tout aux Silences qu’il laissait la main, car c’était bien eux qui les avaient accueillis ici.