On dit souvent, que les souvenirs d'enfance, on a tendance à les oublier, au fur et à mesure que le temps passe. Parce qu'il faut de la place dans notre tête, et que pour cela, on oublie ce qui était avant. Mais ce n'est pas entièrement vrai, parce que elle, même si certains sont flous, ses souvenirs lui restent en mémoire. Comme celui où petite, elle a vu sa soeur bien-aimée partir loin de la maison. Oxane, elle est l'aînée d'un an, et pourtant, elle se souvient Petra, que peu importe son jeune âge, elle voulait tout faire comme elle. Elle se coiffait comme elle, parce que dans ses yeux d'enfant, cette aînée était déjà dotée d'une beauté époustouflante, elle essayait de parler comme elle, de marcher comme elle.. Elle essayait de faire comme elle, dans bien d'autres aspects, espérant peut-être secrètement qu'un jour, sa mère la verrait elle aussi, qu'en dehors d'Oxane, il y a aussi Petra et Andreï. Elle n'était pas jalouse Petra, c'était juste un fait, parfois difficile à accepter. Mais jamais, elle n'en a tenu rigueur à son aînée. Oh non, il n'était d'ailleurs pas rare de voir la seconde fille Herondale à deux pas derrière la première, parce qu'elle ne voulait rien louper de sa vie, de ses gestes.. d'elle, tout simplement.
Et puis un jour, elle est partie. Tout simplement, sans un regard en arrière pour la fratrie qu'elle laissait, sans un regard pour elle. Un moment elle était là et le suivant, elle partait avec un homme que Petra ne reconnaissait pas, sans dire au revoir, sans larmes et embrassades. Elle n'a pas compris tout de suite Petra, que ce départ était définitif. Elle pensait, naïvement, qu'elle ne partait que pour un voyage, pour quelques jours et que rapidement, la routine reprendrait son chemin. "Elle ne reviendra pas", c'est ce que sa mère a fini par lui dire, sans prendre de gant, après une énième question de la part de Petra. Ca lui a coupé la parole, parce qu'elle ne s'y attendait pas, parce que pour la première fois, elle se rend compte qu'Oxane ne faisait plus partie de son quotidien. Et de la famille, dans une certaine mesure. Elle s'est enfuie en pleurant ce jour-là, parce que c'était trop pour elle. Et comme s'il avait senti le désespoir de sa soeur, Andreï n'a pas mis longtemps à venir à sa rencontre, prenant sa main dans la sienne et la serrant fort. "Moi je serais toujours là", une phrase anodine, mais qui fait exploser le coeur de Petra qui relève les yeux pour rencontre le regard encourageant de son jumeau. S'il est à ses côtés, alors elle peut tout affronter, qu'elle se dit, c'est sûr.



Le pire jour de sa vie, celui-là, elle préférerait l'oublier Petra. Parce qu'aujourd'hui encore, il est capable de la réveiller la nuit, haletante, comme si elle était encore là-bas.
Elle se souvient être rentrée dans la maison et s'être dit que quelque chose n'allait pas. Ca flottait dans l'air, comme pour la prévenir, c'était calme, trop calme. Sa mère avait pris l'habitude de ronchonner après Petra quand celle-ci s'en allait trop longtemps. Elle attendait d'elle, la même perfection que son aînée, mais Petra n'était que déception, jamais à la hauteur. De gros souliers à enfiler, que Petra, avec l'âge, à trouvé de plus en plus inconfortable. Mais dans un sens, Petra, elle comprenait sa mère, parce qu'au final, sa fille lui manquait tant. Elle avait ses moments bien sûr, mais après le départ d'Oxana, ils sont devenus bien trop rares. Difficile de s'en remettre pour cette femme qui a tant aimé la première de ses enfants. Et si maman se montrait intransigeante avec elle, elle l'était davantage avec Andreï, qu'elle rabaissait bien trop souvent. Ca lui brisait le coeur Petra et elle se souvient que souvent, elle se disait, "la prochaine fois, j'interviens". Mais, elle ne l'a jamais fait. Et elle prend rapidement conscience, qu'elle ne pourra plus le faire.
Alors qu'elle entre dans le salon, en appelant sa mère, son frère, parce que ce silence pesant commence à l'angoisser, elle voit cette masse immobile qui la stoppe net dans son avancée. Elle n'a pas besoin d'aller plus loin pour se rendre que la vie était parti de.. sa mère. Elle tombe à genoux, les larmes coulants sur son visage, incapable de détourner le regard. Elle voudrait crier, appeler à l'aide, mais y'a rien qui sort. Elle ne bouge plus, spectatrice figée devant un tel carnage. Si elle se souvient encore des images, qui sont incrustées dans sa mémoire, elle ne se rappelle pas combien de temps elle est restée dans cette position, incapable de faire quoi que ce soit d'autres que fixer la cadavre de sa mère.
Andreï, que lui souffle une petite voix à l'oreille. Et ça la sort de sa torpeur, elle détourne le regard, se relève et comme un robot mécanique, elle fouille toutes les pièces de la maison. Il n'est plus là. Comment? Pourquoi? Et une nouvelle fois, une petite voix dans sa tête, c'est lui. Elle voudrait réfuter de suite cette pensée et pourtant, son instinct lui murmure que ça ne peut être que ça. Elle devrait le détester, le haïr immédiatement.. et pourtant, elle ne peut pas. Elle est prête à lui trouver des circonstances atténuantes, prête à dire que c'était un accident. Prête à le défendre, bec et ongles, s'il le faut. Mais elle ne le fera jamais.
Il a fallu prévenir les gens et rapidement, elle s'est enfermée dans le silence Petra, laissant simplement ses oreilles traînées. On lui a montré des signes de sympathie, secouant la tête quand on faisait le lien entre la disparition du fils et le cadavre retrouvé de la mère. C'était trop pour elle. Les retrouvailles avec Sidonie, quelque temps plus tard, n'ont rien eu des effusions de joie qu'elles auraient dû être. Son aînée, si différente de son souvenir, veut des réponses que la cadette est incapable de lui fournir. Un fossé entre les deux filles Herondale et un frère disparu. Elle a attendu longtemps, se précipitant en voyant des adolescents de dos ayant sa carrure, mais qui jamais n'était lui. Parce qu'Andreï, il n'est jamais revenu. C'est cette année-là, que sa vie entière a changé, pour ne plus jamais être la-même. Une année, où elle a perdu, plus qu'elle ne pouvait réellement le supporter.



Andreï,

Que c'est stupide de ma part, de continuer à t'écrire, comme si tu pouvais me répondre. Une année de plus sans toi. J'aimerais croire que tu vas bien, quelque part, là dehors. Mais si tu étais vraiment là, tu m'aurais retrouvé, pas vrai? En écrivant ces mots, une larme roule sur la joue de la jeune femme, qui jamais ne se fera à la perte de ce frère, qu'elle aime tant. J'aimerais tellement comprendre ce qui s'est passé ce jour-là, comprendre pourquoi tu es partie, comprendre ce qui t'es arrivé. Elle marque une pause, regardant les rues agitées dans la capitale qui l'a adopté depuis plusieurs années, un soupire s'échappant d'entre ses lèvres. J'aimerais te dire que les choses se passent bien ici, que je vis la vie dont je rêvais. Mais je n'ai jamais su te mentir, alors pourquoi commencer maintenant. Je me suis perdue, Andreï, et j'aimerais tant avoir tes conseils pour aller de l'avant. Tu saurais quoi me dire toi, tu l'as toujours su. (...) J'ai l'impression de vivre la vie d'une autre personne tu sais, comme si tout ce qui se passait depuis ce jour, n'était qu'un affreux cauchemar duquel je me réveillerais bientôt.. mais je ne me réveille jamais et chaque jour qui passe, je me dis que c'est un jour en moins. Pessimiste? Peut-être, mais vivre une vie sans but, est-ce vraiment vivre? Je ne sais pas.. je ne sais plus. Une nouvelle fois, elle s'arrête, parce que des coups sont portés à sa porte de chambre, elle n'a pas d'autre choix que d'y répondre. – J'ai besoin de toi dans dix minutes. – Ce sont les mots prononcés par son aînée quand Petra ouvre la porte. Et aussi vite qu'elle est arrivée, elle repart, sans un regard, laissant Petra répondre par un simple soupir, puisque les mots ne seront pas nécessaires.
Ses pas la ramènent vers le minuscule bureau, sur lequel elle a abandonné papier et stylo. Et comme si de rien était, elle reprend l'écriture. (...)Je me demande ce que tu penserais d'Oxane..– de Sidonie, si tu étais là aujourd'hui. Elle est si différente de la soeur que nous avions autrefois. Où a-t-elle toujours été comme ça et je ne m'en suis pas rendu compte? C'est une possibilité. J'ai parfois du mal à savoir ce qu'elle veut de moi, ce qu'elle attend. J'aime à croire qu'elle me fait confiance, pourtant, depuis un moment maintenant, je me demande si l'inverse est vrai. Une pause, encore une fois pour remettre ses pensées en ordre. C'est horrible de dire ça, tu me ferais peut-être la morale pour ces mots, mais j'ai vu tant de choses que je ne peux pas empêcher mon esprit de partir dans tous les sens. J'ai du mal à mettre mes pensées en ordre. Encore une année où tu n'es pas là, où c'est interminable, où c'est une souffrance. J'aimerais que tu sois là, j'aurais besoin de ton soutien, de tes mots qui ont toujours réussi à me redonner confiance. (...)J'ai tellement de choses à te dire, mais je manque de temps, et une lettre que tu ne liras jamais ne peut pas m'aider de toute façon, n'est-ce pas? Pourtant, je continue.. quelle perte de temps. Tu rirais de moi. Mais Andreï..(...)
Je m'excuse de ne pas m'être montrée à la hauteur, de ne pas avoir réussi à être aussi présente pour toi que tu l'étais pour moi.. J'espère que tu me pardonnes d'avoir échoué. J'espère que es en paix, maintenant.
Je t'embrasse.
Et sur ces derniers mots, elle repose son stylo. Encore une lettre sans queue, ni tête. Chaque année, à cette date, elle ne peut pas s'empêcher d'écrire une lettre à son frère disparu. Une tradition absolument inutile, qu'elle garde secrète parce qu'elle sait que Sidonie ne comprendrait pas. Et pourtant, pour Petra, coucher ces quelques lignes sur le papier, c'est comme si elle pouvait réellement, lui parler, mais elle n'a jamais de réponse. Elle dépose la lettre dans un récipient et après un dernier regard, elle approche l'allumette qu'elle vient de craquer. Sous ses yeux, le papier se calcine en silence, envoyant ses mots dans les airs. Quand sa lettre n'est plus que cendre, le feu se calme, pour finir par être éteint. C'est fini. Oui cette lettre n'atteint jamais son destinataire. Mais elle, elle a besoin de l'écrire, année après année. Sans un regard en arrière, elle quitte le confort de sa chambre parce que Sidonie l'attend.



Aujourd'hui, elle n'a plus sa mère. Elle n'a plus Oxane. Elle n'a plus Andreï. Sa vie l'étouffe, les actions se déroulent sous ses yeux sans qu'elle n'y prête le moindre intérêt. Elle ne sourcille pas, ne bronche pas. Elle obéit, comme le gentil soldat qu'ont l'a formé à être. Elle hoche la tête, qu'elle soit d'accord ou non. Elle est toujours là, jour après jour, alors que ce qu'elle peut être amenée à faire lui donne envie de vomir.
Qui est-elle? Que veut-elle? Que va-t-elle devenir?
Et petit à petit, son oisiveté se transforme en hargne, en rage qu'elle contrôle autant que possible. Les situations devant lesquelles elle est confrontée lui font perdre pied, petit à petit. L'éloignant progressivement de la personne pacifique qu'elle est, au fond d'elle. Petit à petit, elle n'a qu'une envie, se réveiller de cette stupeur dans laquelle elle se complet depuis des années. Inexistante. Naïve. Peu importante. Un corps sans vie. C'est comme ça qu'on peut la décrire et chacun aurait raison. Elle est tout ça Petra. Mais depuis peu, elle ne demande qu'à sortir de cette coquille dans laquelle elle s'est enfermée, pour survivre. Elle s'est contentée d'une vie qu'on lui a imposé pendant trop longtemps. Elle a rempli le rôle de sa soeur, quand elle n'était qu'une enfant. Elle est devenue un soldat, elle est rentrée dans l'Ordre, parce que c'est ce qu'on attendait d'elle, parce que c'est ce que Sidonie attendait d'elle. Depuis toujours elle a vécu la vie de sa soeur, se modelant comme lorsqu'elle était enfant à ce modèle. Mais elle est grande désormais Petra, elle n'est plus une enfant. Elle a ouvert les yeux, difficilement et comme on sort d'un sommeil profond, elle commence doucement à émerger dans cette réalité qui est sienne... et qui ne lui convient pas. Une réalité dans laquelle elle joue le rôle qu'elle s'est elle-même forcer à interpréter. Depuis toutes ces années, Petra s'est oubliée pour ne devenir qu'une pâle copie d'Oxana.
Qui est-elle? Que veut-elle? Que va-t-elle devenir?
Elle apprend, doucement, par des changements imperceptibles à répondre à ces questions. Parce qu'elle en a fini, Petra, de jouer le rôle d'une personne qu'elle n'est pas.