L’ambiance se veut austère dans la pièce. Les cinq protagonistes – parents et enfants – se sont retrouvés pour l’heure du repas. Une obligation instaurée par sa génitrice ; cette femme qu’il ne considère autrement, son instinct maternel semble inexorablement sous-développé. Elle a réalisé son travail, donner naissance aux héritiers de celui dont elle partage la couche. Les pieds sous la table, les trois enfants sont silencieux tandis que leurs parents sont dans un échange d’une grande banalité. Les quelques moments excitants de leurs journées sont explicités, les sourires se veulent forcés. L’illustration familiale fait pâle figure face aux familles unies. Le « chacun pour soi » est omniprésent au sein même de la petite fratrie bourgeoise. Les mots s’envolent en direction de l’aîné : « As-tu apprécié ta journée mon chéri ? » L’affection dérisoire se ressent dans ces paroles de mère presque indigne. Un sourire de courtoisie se dessine, les lèvres se mouvent et la réponse s’échappe dans une vague sonore concrétisant l’éducation souhaitée, donnée par des gouvernantes qui seraient plus à même de porter le titre hypocoristique de maman : « Elle fût éminemment agréable ! » Balivernes ! Identique à hier et inéluctablement à demain. « Qu’elles ont été tes activités ? » L’intérêt fictif se veut désagréable, la sensation de mal-être est présente : éviter la communication avec cette femme est une idée concrète dans son esprit. Il préfère se terrer dans la soliloquie, seul avec ses propres pensées. L’insolence infantile reprend le dessus : « Mes journées, naguères mouvementées, sont très monotones actuellement ! » Le front de l’intéressée se plissent, l’enfant ne lui laisse aucunement l’opportunité de répondre. « T’as qu’à demander à tes bonnes ce qu’elles me, nous font faire ! » rétorqua l’héritier, s’indiquant lui-même ainsi que ses cadettes : les jumelles. L’indignation représentée sur ce visage féminin tandis qu’un regard furtif vers le patriarche, son ‘père’ l’oblige à retenir un rictus. L’homme tentait de cacher ce sourire amusé par la situation pittoresque qui se révélait à lui. Les plats arrivèrent, posés devant chaque membre de la famille dans un silence claustral ; seuls les bruits des couverts en argent sur la porcelaine de la vaisselle vinrent agrémenter cet énième repas familial, raté.  


Le manoir familial se trouve à l’orée de la forêt, légèrement à l’écart de la ville. Demeure isolée, emprunte de mystère. Les Callabrese ne se mélangent que rarement aux autres familles argentées, bien trop souvent utilisées lors d’événements funestes. Ils ont été les outils de nombreuses vengeances, les pions de nombreuses chasses à l’homme. Ils ne peuvent, pourtant, se permettre de perdre cette spécificité qui les individualise dans cette communauté à l’ichor éclatant. Père et fils se retrouvent dans l’arrière-cour pour un nouvel entraînement. La main compatissante du patriarche se pose sur l’épaule de son héritier qui affiche une moue concentrée, attentive : « Fils, qui cherches-tu ? » Première interrogation ; l’obligé soupire avant d’examiner, d’analyser les différentes pistes qui se dévoilent à lui. La déduction souhaite que le dit traqué soit sorti de l’habitation : la facilité ne fait pas partie de cette vision adulte. Quelques douzaines de secondes s’écoulent, la demande est réitérée : « Amael, une réponse ? » L’absence d’hypothèse se lit dans ses yeux tandis qu’une tape légère est faite dans son cou. Désagréable sensation que de se sentir si impuissant. La voix est tremblante, la confiance en soi s’évapore de tout son être alors que les mots s’alignent lentement, inaudibles : « Je cherche Régis ? » ou plus communément le sang rouge qui est rémunéré pour s’occuper des jardins de la maisonnée. « Piètre traqueur que tu es ! Il est passé par ici mais ce n’est pas lui ! Sa trace n’est pas la plus récente ! » Le père tourne les talons, lève le bras et balance sa main dans un geste agacé : « Tu me trouveras dans le petit salon une fois que tu auras trouvé ! » Il l’abandonne à son entraînement. Amael ne pourra le stopper qu’une fois qu’il aura réussi à dénicher le traqué du jour : un membre du personnel, mais lequel ? La mine déconfite, il ressent ce malaise comme à chaque fois qu’il déçoit son géniteur.


La voiture des visiteurs est parquée dans l’allée principale. Un père, une mère et leur fille de l’âge d’Amael ont été accueillis dans la demeure familiale. Le motif de cette rencontre est simple : élaborer les fiançailles de ces deux jeunes âmes afin de fructifier les avoirs de chacun. Les Callabrese sont reconnus pour l’exploitation forestière : propriétaire de nombreuses parcelles boisées, ils fournissent les entreprises et les particuliers en bois pour des utilisations diverses et variées. L’heureuse élue est également issue d’un milieu bourgeois au lignage argenté :  mademoiselle Rosier, première fille de ces alcooliers reconnus dans tout Hiokuri pour leur eau de vie et nombreux autres alcools forts. Les parents conversent en huis clos, le jeune homme se retrouve face à sa future conquête forcée. Ils sont tous les deux, installés dans l’un des nombreux salons de la demeure. « Crois-tu qu’ils vont conclure un accord nous concernant ? » L’interrogation le ronge, il souhaite savoir quelle sera la conclusion de cette rencontre. Sera-t-elle sienne prochainement ? Le visage porcelaine de cette autre ne se défige pas, les mots claquent tels le vent dans la toundra de la région nordique : « Je ne vous permets aucunement de me tutoyer, nous ne nous connaissons pas ! » Un rictus à peine visible vint malgré tout tracer sa pommette gauche qui se teint, légèrement rosée. L’héritier ne la laisse pas indifférente : « Je pense néanmoins que nous serons liés, monsieur Callabrese. » Le soupire d’agacement est audible, le sourire bienveillant de la demoiselle apparaît. Ils sont dans la même situation. L’attente d’un statut qui s’évapora lorsque les quatre décideurs apparurent. Les deux adolescents les dévisagèrent, les mots tombèrent, comme des couperets. « Vous voilà fiancés, mes enfants ! » S’exclama ce père qui ne réussit à cacher sa joie. Amael se leva, remercia celle qui partagera sa vie dans un futur proche ainsi que ses parents et disparut de la pièce. Tout d’abord lentement, accélérant le pas dans l’escalier qui lui permis de rejoindre sa chambre, s’allonger sur son lit. Penseur, les pieds et mains liés par un contrat dont il ne veut pas. Il est l’identique à la plupart des siens, coincé entre la tradition et l’innovation.


Les derniers invités s’éclipsent. La demeure familiale se vide, les jeunes mariés sont présents sur le bas de la porte afin de saluer les retardataires. Le souhait d’une agréable vie leur ait donné verbalement tandis qu’ils esquissent ces sourires courtois. Ils n’ont rien demandé, ils se sont retrouvés dans cette situation à la suite des vœux parentaux. La porte d’entrée se ferme, seuls les murs froids les entourent. Elle vient d’être abandonnée par ces parents :  Rosier devenue Callabrese. Un regard compatissant d’Amael envers sa nouvellement femme, elle ne peut cacher l’humidité présente dans son regard. « Je suis heureuse d’être vôtre. » Putain de société patriarcale, elle n’est aucunement cette potiche censée agrémenter son bras lors des événements bourgeois. Les yeux de cette bien aimée fixent le sol, elle n’ose regarder ce jeune homme, son époux. Un doigt sous ce visage fragile, un soupçon de force afin qu’elle le regarde ; le son de sa voix est bienveillant, il ne lui veut aucun mal. « Nous allons déjà commencer par nous connaître, ne penses-tu pas ? » Le sourire qu’elle affiche présentement est chaleureux. Amael est conscient de ce qu’il vient de produire ; leurs familles sont officiellement liées. Les traqueurs viennent de signer avec ces alcooliers, ces personnes dont on entend parler de leurs fréquentations parfois étranges. Il ne sait pas grand-chose de ce qui se trame dans leurs distilleries, mais le nom de Perles ne lui est pas inconnu. Le chasseur vient de se faire mettre en laisse, son géniteur l’a tenu au courant de cette partie du contrat lors d’une conversation peu de temps après ses fiançailles, il se souvient encore de ces paroles : « Tu es notre porte d’entrée dans ce monde souterrain, Amael ! » Le fil d’Ariane des illégaux, il est ce nouveau chien de chasse capable de dénicher les fugitifs. La pensée s’évapore, le retour à la réalité. La main de son autre l’agrippe au niveau du poignet, elle le tire sans force. Il ne fait que suivre, les mots lui arrivent mais il ne fait le rapprochement avec ce qu’il se produira cette nuit : « Allons-nous… Coucher… » Ce soir, mon fils, tu deviens un homme.