Les paupières s’agitent, les sourcils se froncent alors qu’elle est toujours dans le bras de morphée. Elle ne sent qu’à moitié la chaleur incandescente qui s’immisce peu à peu dans sa chambre, alors que de petites particules de fumées viennent polluer l’air et s’immiscer dans sa trachée. Ce n’est que lorsque les picotements dans sa gorge la force à tousser, et que les pas d’un petit animal agité deviennent presque pressants, que ses paupières daignent s’ouvrir. La toux est roque, comme si elle voulait éliminer cette horrible démangeaison. Ses yeux piquent, eux aussi, et elle met quelques secondes à comprendre ce qu’il se passe. Les prunelles sombres se posent sur la lionne, qui semble vouloir l’entrainer vers la sortie, avant de se poser vers la porte de sa chambre. De la fumée, beaucoup trop de fumée qui s’engouffre sous la porte. Son palpitant s’accélère, et en une fraction de seconde, elle se lève en enfilant un gilet et en entrainant la lionne dans sa course. A la seconde où elle ouvre la porte, des flammes jaillissent et c’est un spectacle presque hypnotisant qui s’offre à elle. Une danse macabre de flammes incandescentes, accompagnées d’une odeur de brulé. Le palpitant s’accélère, encore, mais alors qu’elle s’engouffre dans le couloir, sa gorge la démange à nouveau. Son bras devant sa bouche, elle s’efforce de rester en apnée, s’apprêtant à courir vers la chambre d’Orion. Il faut qu’elle y aille, il faut qu’ils sortent. Sa raison lui murmure de sortir immédiatement, mais elle nie en bloc, jamais elle ne sortira sans Orion. Les flammes semblent diminuer, mais ce n’est que d’apparence, car à l’instant où elle sort de sa chambre, une chose explose sur sa droite. Des braises viennent lécher son corps, ses vêtements, brulant sa chaire par la même occasion. Elle ne peut retenir un cri strident, et elle tombe lourdement sur un sol qui n’existera bientôt plus. Ses yeux se plissent, pour essayer de voir malgré la fumée, elle cherche Lux. Elle voudrait l’appeler, crier son prénom, mais sa gorge est bien trop sèche pour ça. Et c’est à quelques mètres qu’elle découvre l’animal, allongée sur le sol. Elle se déplace instinctivement vers elle, à quatre pattes, elle n’a que faire de son allure à cet instant, pour toucher l’animal. Sa respiration devient haletante, et son coeur semble s'arrêter lorsqu’elle comprend que la vie a quitté son corps. Des larmes viennent embuer sa vue, comme si la fumée ne suffisait pas, et elle reste un instant sur le corps de la lionne. Elle sent la chaleur se rapprocher, peut–être un peu trop près, mais c’est comme si elle ne la sentait plus. C’est presque indolore, comparée à ce qu’elle ressent intérieurement. Elle touche la lionne, elle supplie le ciel pour qu’elle revienne, pensées et prières irrationnelles, mais elle n’en a que faire. Elle est ailleurs, dans un autre monde, et les minutes défilent beaucoup trop vite. Une explosion la ramène à la réalité, alors qu’elle se rabat instinctivement sur le corps du lionceau, toujours dans ses bras. Je t'aime, qu'elle murmure entre deux sanglots. Elle pleure, et elle lui accorde une dernière caresse avant de la reposer au sol. Orion. Elle doit se concentrer sur lui. Ses larmes essuyées d’un revers de bras, le tissu lui brule la peau, autant que la fumée lacère ses poumons. Elle se relève, et court jusqu’à la porte de son frère, non loin. Avec son coude, elle ouvre la poignée brulante et se retrouve face à la silhouette de son frère. « El. » Silhouette réconfortante, qu’elle attire contre elle, qu’elle sert, comme si c’était la dernière fois qu’elle avait l’occasion de le faire. Elle se retient de parler du lionceau, elle n’est pas prête, et la question viendra surement plus tard. Il faut qu’elle reste concentrée. La respiration toujours haletante, sa poitrine se soulève trop rapidement. Lux vient de mourir, et seuls les dieux savent ce que sont devenus les autres. Karim, Arven, Lupia. Leurs parents. Les émotions la gagnent, s’emparent d’elle et elle s’autorise quelques larmes dans les bras de son frère. « L’entièreté de la maison est en feu. Nous devons sortir.. nous devons sortir maintenant. » Les mots sortent de sa bouche a toute vitesse, le temps presse. Le stress monte, l’adrénaline se déverse dans ses vaisseaux à chaque pulsation cardiaque. Pourtant, Orion reste figée, fixant les flammes.  « Nous devons trouver les autres. Maman, papa, Arven, Karim, Lupita… et Rafe et Essy, et… » Le reste de la phrase reste en suspens, et Elara ferme les yeux un instant. Elle pousse un lourd soupire, avant de les ouvrir à nouveau. Ils n’ont pas le temps, les autres trouveront un moyen de sortir, si leurs chairs ne sont pas déjà calcinées.  « Nous devons sortir. Nous devons leur faire confiance, ils trouveront un moyen de sortir aussi. Nous devons survivre. » Les mots s’enchainent, et elle a raison, ils doivent survivre. Elle ne doit pas penser à Lux, ni aux potentiels corps déjà raides morts à divers endroits du manoir. Non, elle doit penser à gagner la sortie, avec Orion. Le reste attendra, les autres sont peut-être même déjà dehors. Elle fait son possible pour garder son sang froid, paraître calme, mais c’est un véritable affolement qui fait rage en elle. Elle s’active, nouant des draps trouvés ici et là pour en faire une corde, aussi vite que possible. Le palpitant bat toujours beaucoup trop vite, ses mains tremblent, et les battements ne font que s’amplifier lorsqu’il secoue la tête. Elle expire bruyamment, parce qu’elle en était sûr. Elle savait qu’il ne voudrait pas partir sans eux. « Orion ? S’il te plait, viens avec moi. » C’est un ordre, et une supplication. « Nous devons le faire maintenant, Orion.. » Elle se dirige vers la fenêtre et l’ouvre, laissant ainsi toutes les fumées sortir, sa gorge est presque libérée d’une immense pression. Puis, elle se tourne à nouveau vers lui, elle l’attend, le regard suppliant. « D’accord. » dit-il, à contre cœur. Il semble passif, comme si il ne réalisait pas. Et comment lui en vouloir, leur monde est en train de s’écrouler, et ils ne peuvent que fuir. Un soupir s’échappe de ses lippes, une nouvelle fois, et elle sent les larmes qui reviennent, mais elle les ravale aussi vite. Pas maintenant, il n’y a pas le temps. Elle regarde Orion descendre en premier, puis descend à son tour le long de cette cordelette en tissus, improvisée. Une fois à terre, la main de son frère se glisse dans la sienne, lui rappelant une époque passée. Elle resserre l’éteinte qui lie leurs deux mains, comme si cela pouvait les réconforter, et s’avance à ses côtés dans la rue afin de s’éloigner des flammes encore vives. Le spectacle est à couper le souffle. Chaque minute, on entend une explosion, ou quelque chose qui s’effondre, laissant le plaisir au feu de détruire une partie de plus dans le manoir. Les yeux humides, elle regarde le spectacle qui s’offre à eux. Elle est désemparée, Elara. Tout s’écroule, tout part en fumée. C’est comme si toute leur existence n’avait désormais plus aucun sens. « Les autres.. » Elle inspire fortement, et garde l’air quelques instants à l’intérieur de ses poumons. Il ne terme pas sa phrase, mais elle ne la termine pas non plus. Pourtant, elle sait ce qu’il s’apprêtait à dire, elle connaît les mots qu’il aurait prononcés si il ne s’était pas interrompu. Le silence devient maitre, laissant les jumeaux spectateurs de la mort des leurs, impuissants.


Le manoir n’est plus qu’un tas de cendres, et que les flammes incandescentes, qui tapissait le ciel jusqu’alors le ciel, commencent à disparaître, laissant la nuit noire donner le ton à cette soirée qui n’en finit pas. Les jumeaux restent là, et si Elara continuaient stupidement de fixer les ruines, espérant vainement voir l’un des siens surgir des flammes, cet espoir s’est rapidement éteint. Le palpitant en miette, les songes la gagnent. Elle se demande pourquoi ils ont survécus, et tout un tas d’autres questions. Les songes effacent les larmes, la tristesse, le désespoir, il est trop tôt pour se laisser aller, et ils laissent place à la colère. Une colère sourde, qui gronde en elle autant qu’en Orion, qui ne cesse de serrer et de desserrer les poings. Elle sait, au fond d’elle-même, qui sont les responsables de cet incendie. Ca ne peut être qu’eux. Les Sielle. Sa mâchoire se crispe, au point d’avoir une crampe, mais elle ne la sent même pas. Tout semble indolore, c’est comme si elle n’était que spectatrice d’un film. Tout semble irréel, pourtant, tout est réel. Le déni peut-être, sans doute qu’elle n’est pas prête à accepter tout ça. Elle secoue la tête, son ressenti attendra, il ne faut pas qu’ils restent là. Elle se tourne vers Orion, prête à lui dire de s’en aller, mais elle reste un instant silencieux, face à son attitude. Elle sait ce à quoi il pense, et elle y pense, elle aussi. Ses lèvres se pincent, son corps se crispe, alors qu’elle ouvre la bouche. « Pas maintenant. » Sa voix résonne, alors qu’elle lui ordonne d’oublier une vengeance immédiate. Ses yeux s’ouvrent, s’ancrent dans les siens, et elle s’y noie. Elle devine sa souffrance, égale à la sienne, elle devine ce que chaque parcelle de son corps ressent, comme si ils étaient connectés. Elle déglutit, mais la salive passe difficilement. Sa gorge la brule, des parcelles de fumées restent encore accrochées. « Ils doivent payer pour ce qu’ils ont fait. » Un soupir s’échappe de ses lippes, elle ne tient plus le compte, tellement elle a poussé ce soir. Bien sûr qu’ils payeront, mais pas maintenant. « Je leur ferais payer. » qu’il rajoute. C’est presque poétique, cette promesse. Promesse avec laquelle elle est entièrement d’accord. Ils payeront tous, une vie prise pour chaque vie arrachée. Elle secoue la tête, sachant qu’il ne l’écoute pas, et s’avance vers lui pour saisir ses mains. Elle le force à lui faire face, et leurs yeux s’entrechoquent une nouvelle fois. Ses prunelles sombres dans les siennes, elle le force presque à garder le contact visuel. Il doit l’écouter. « Orion, écoute moi. » lui ordonne-t-elle, d’une voix peut être un peu trop autoritaire. Elle s’efforce de garder son calme, de réfléchir, face à une telle situation. « Nous leur ferons payer. Mais pas ce soir, pas alors que nous sommes affaiblis et dominés par nos émotions. » Si elle n’en avait pas l’air, elle l’était, elle aussi. Un désir de vengeance ne faisait que la ronger à son tour, un désir qu’elle faisait taire, en même temps que sa colère. Elle grimace, et se reprend. « Pas faible, blessés. Mon avis est que si tu vas les trouver maintenant, tu pourrais ne pas en sortir vivant. Et je ne peux pas te perdre. Tu comprends ? » Pas lui, pas Orion, pas alors qu’ils venaient tous de mourir. Ses lèvres se pincent, et elle ravale difficilement sa salive. Il faut qu’il comprenne. « Tout ça.. Ce n’est pas bien, El. » Son palpitant se brise, alors qu’elle décèle la tristesse de son frère, sans doute aussi forte que la sienne. « Je sais. » qu’elle dit, comme pour ponctuer sa phrase. Sa main vient se placer sur sa joue, ses yeux toujours ancrés dans les siens. « Je les tuerais tous, je ne peux pas vivre dans ce monde autrement. » Elle ne peut qu’acquiescer, parce qu’elle aussi, elle ressent ce besoin. Cette soif de vengeance qui la ronge, elle sent presque des flammes imaginaires qui brulent et consument ses entrailles depuis l’instant où elles ont brulés le manoir. Les Sielle payeront, c’est certain. Mais pas maintenant, qu’elle se répète. Elle s’en persuade, autant qu’elle essaie de le persuader. L’esprit stratège qu’elle est voit plus loin, elle y voit là une stratégie qui leur sera fortement utile. « Je comprends. Et crois-moi, je veux qu’ils meurent d’une mort atroce pour ce qu’ils ont fait. » Phrase qui arrache un sourire à son frère, comme à elle. En parfait miroir, elle lit en lui comme dans un livre, et inversement. Il sait qu’il y a un mais. « Mais ? » Elle baisse les yeux, avant de les planter à nouveau dans les siens. « Mais nous avons besoin de temps. La précipitation ne nous servira à rien. Nous devons reprendre des forces, rassembler nos alliées, nous préparer. Puis, nous frapperons. Nous les frapperons si fort qu’ils ne nous verront pas venir. Orion, nous devons leur faire croire qu’ils ont gagnés. » Aussi insupportable cela soit-il, qu’elle se retient d’ajouter. La perspective d’attendre lui sera déjà assez pénible comme ça. Leurs mains se quittent, celles d’Orion retombant le long de son flanc, celles d’Elara se croisant sur sa poitrine. Elle attendait qu’il flanche, qu’il accepte cette idée qui lui semblait être la meilleure option. « J’ai besoin que tu me fasses confiance à ce sujet. Et je sais que tu le feras. » Elle le sait vraiment, au fond, il le fera comme il l’a toujours fait. Car ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre, les jumeaux. Ils sont complémentaires, fusionnels. Sa main vient de nouveau se glisser dans la sienne, alors qu’il détourne le regard pour contempler les ruines, avant de planter à nouveau son regard dans le sien. Elara sourit, elle sait qu’il adhère à son idée. « Nous les ferons saigner. Mais maintenant, nous devons disparaître. » C’est une certitude, et elle l’applique immédiatement, en tirant sur sa main pour l’entrainer dans un endroit sûr. Les ombres disparaissent dans la nuit noire, pour mieux renaitre.