« Do you swear? »
« Yes, I swear. »
Une promesse. Une promesse comme on se doit de les garder. Des mots qui se prennent à résonner ici et là, emporté par une brise qui se faufile entre des fenêtres ouvertes.
Il en a fait des promesses, Cain.

Alors que ses paupières se ferment, il se prend à se les rappeler, comme une liste qu’on ne pourrait faire disparaitre. Murmures qu’il a du mal à différencier, à identifier. Il n’y a chez Cain que cette connaissance, conscience précise de l’homme qui cherche une utopie délicieuse.
A la recherche de documents qui risquent de le détruire, il trouve des lettres dont il n’a jamais pu se séparer. Promesse d’être un compagnon, envers et contre tout. Le papier est usé, s’effrite presque sous des doigts faits rugueux par l’utilisation journalière d’instruments à la diversité infinie. L’encre, bien que décolorée, continue de laisser apparaitre des mots qui suintent une affection qu’il n’a jamais pu retrouver. Le temps s’éloigne alors que son regard se perd entre les lignes, pourtant incapable de les lire réellement. Pourquoi ? Il ne le sait pas. C’est la peur qui, surement, s’enroule autour de son cœur. La peur de se souvenir de son échec. Il aurait dû se battre, Cain. Il aurait dû se battre pour la vie qui s’était présentée a lui, mais il en a été incapable. Parce que, de longues années auparavant, il ne s’en pensait pas capable. Amour et délicatesse, voilà tout ce qu’il se pensait être. Et puis les choses ont changé. Et puis le voilà qui…

La gorge est raclée. Les pages sont lues.

Il en garde certaines, les retournent à leur place. Les autres, il les observe encore un moment, ses yeux passant des lignes au doux feu qui brule au sein de la cheminée. Un pas, puis deux, et puis quelques autres jusqu’à ce que la lueur des flammes danse sur son visage.
Yours faithfully.
Il inspire, s’accroupit devant les cendres.
Abel.
Un coin du papier change de couleur, laisse derrière lui la teinte jaunie que le temps lui a apposée pour la remplacer par un noir suie. C’est un réflexe. Il n’y réfléchit pas vraiment, Cain, alors qu’il se relève, qu’il fane les lettres afin de s’assurer que le début de flamme se soit éteint. Elles prennent place dans une de ses poches.

Et le voilà qui continue, qui erre au sein de son appartement à la recherche de choses qu’il se doit de faire disparaitre.

Un châle attire son attention, dessine un sourire triste sur ses lèvres délicates. Le tissu est si fin qu’il coule presque entre ses doigts, qu’il semble s’échapper de sa poigne. Lentement, il le porte à son visage, en hume l’odeur qui disparait un peu plus chaque jour. C’est presque s’il sent l’étreinte de sa mère, presque s’il peut entendre sa voix entre les crépitements du feu. La relation n’a jamais été simple. Tensions quant à son choix de parcours, son refus de joindre l’armée, son manque de compagne.
« If only I would have lived long enough to see you raise a family. »
Oh, if only she knew.
Mais malgré tout, malgré la mort de son père, malgré le mépris qu’elle semblait lui porter, Cain ne peut s’en empêcher. Il ne peut s’empêcher de l’aimer comme elle l’a aimé. Il ne peut s’empêcher de ressentir un manque face à son absence qu’il a pourtant vu arriver.
« Mum? »
« Yes? »
Il a failli lui dire. Là. Alors qu’ils étaient seuls. Alors qu’elle était mourante. Alors que les guérisseurs ne pouvaient plus rien y faire. Il a failli lui dire qu’il avait eu une famille, qu’elle s’est effondrée. Il a failli lui dire qu’il a aimé, qu’il n’est pas parvenu à le faire rester, qu’il n’a pas réussi à le sauver. Mais la peur s’est emparé de lui.
What if she died resenting you?
« I love you. »
« I love you too, » qu’elle lui a répondu dans un murmure douloureux.
Le châle fini de lui échapper, dessine sur le siège une ombre azurée qui, sous la brise qui continue de se faufiler au sein de la pièce, semble presque respirer.

Les heures s’écoulent. Cain continue de vagabonder, son regard attentif trouvant chaque coin de son appartement. Il en voit la fin, se dit que le temps est peut-être venu pour lui de retrouver l’extérieur, de prendre part à ses choses pour lesquelles il est resté en arrière.

Mais il s’immobilise.

Sous un voile poussiéreux, sur le coin d’une bibliothèque, se trouve un objet qu’il aurait presque oublié. Délicat, fait de bois sombre originaire de sa région, c’est un poisson aux courbes précises. Un bibelot comme un autre, dirons certains, mais à ces yeux, il s’agit d’un objet sans pareille. Trouvé à même le port le long duquel il s’est perdu encore et encore étant plus jeune, il l’a offert à une enfant qui aurait dû être la sienne. Une petite fille au sourire qu’il a aimé plus que tout au monde.
« A fish? »
« A protector. »
Vielles croyances de pécheurs ou mensonge que son père lui a offert, il ne le sait pas, Cain. Mais peu lui importe. Il l’a donné à la fille – sa fille – qu’il aurait dû voir grandir. Sa main se lève, s’approche du bois avant de s’immobiliser. Il ne peut pas le faire. Perturber la poussière serait comme refuser l’idée qu’elle reviendra, qu’il finira par retrouver son regard vif et son sourire délicat. La main tremble, incertaine. Et puis elle bouge, s’approche de son visage afin d’essuyer une larme avant qu’elle ne s’échappe de son regard océan.

Le téléphone sonne.

Cain sursaute.

Il se détourne afin de suivre la mélodie qui l’appelle.
Catius.
L’oncle. L’ordre. La violence. L’erreur.
La respiration se fait difficile. Il ne peut répondre. Il en est incapable. Pas alors que la vision de cet homme danse dans le fond de son regard. Pas alors que ses supplices résonnent encore à ses oreilles. Un homme qu’il aurait dû sauver. Un homme dont le sang argent a parsemé les murs, a trouvé même le bas de son pantalon. Linge dont il s’est débarrassé.
Une erreur. Rien de plus.
Une promesse brisée. Encore une.
« Are you sure? »
« Yes, Lorne, I’ll get him out safely. »