NYSA. Qu’elle était énervante lorsqu’elle s’y mettait cette sœur de deux ans son aînée. Toujours dans ses pattes à venir perturber les entraînements avec leur père ; pourtant il l’avait dit des centaines de fois le patriarche, que ce traitement qu’il recevait n’était que pour les héritiers mâles. Anju Xi’Nora était un homme strict, aux anciennes traditions bien ancrées dans les murmures de ses enseignements ; il savait Pavel, qu’il attendait de lui plus rigueur, plus de dureté. Les leçons de politique pour les hommes, les leçons de rhétoriques pour les femmes ; il en avait toujours été ainsi. « Nysa, tu vas sortir de cette salle immédiatement. Ton frère n’a pas besoin des distractions que tu lui apportes. » Regard mauvais entre les deux frère et sœur ; Nysa encore frappé de cette frustration et Pavel encore trop porté par son ambition démesurée pour se rendre compte – l’envie de plaire à ce patriarche. L’héritier ne s’en occupe point des humeurs de sa sœur, ce n’est qu’une femme, c’est une Xi’Nora, certes ; mais tout ce qu’elle est en train de faire c’est de déranger son apprentissage. Pavel ne s’en souvient pas très bien de ce temps où ils étaient encore proches l’un de l’autre, tout ce sont il est certains c’est qu’il doit se concentrer sur cet avenir qu’elle ne fait qu’encombrer avec ses caprices de petite princesse. D’un rictus il regarde cette sœur, l’œil de son père, attentif soudainement ; il attend Anju, de connaître à la réaction de fils, pourtant l’héritier ne dit rien – toujours trop calme. Sa sœur, il ne la défend ni ne l’encourage ; le dos se veut droit, parce qu’il est devenu presque terriblement centré sur lui-même, Pavel, pendant ces années d’adolescence en compagnie de son père. La sœur s’en va, le visage déformé par la colère d’avoir encore été mise à la porte si facilement. Parce que les années ont creusé cette différence entre eux et que l’héritier Xi’Nora a autre chose à penser que les sentiments de Nysa ; il ne s’en préoccupe pas d’ailleurs, on ne lui demande pas d’avoir des sentiments à sa sœur, de la même manière qu’on ne lui demande pas d’être compatissant, on ne lui demande pas d’être aimant – on le veut froid comme la glace, on le veut stratège, on le veut orateur, on le veut politicien, on le veut impartiale, on le veut Roi du nord. Depuis l’enfance, depuis le plus jeune âge, on l’élève pour être le plus fort.

KIRAN. Le même sang circule dans leurs veines, que se répétait Pavel, encore et encore, comme une vieille ritournelle. C’est ensemble qu’ils vivent ce moment, alors qu’Anju demande de tuer, il lui demande de glacer le sang de ce rouge – parce que chaque Xi’Nora doit en être capable. Il voit le rictus sur le visage de frère cadet, trop heureux de la tâche qu’on lui demande, de le voir échouer, pas assez humain. Alors il se répète que le même sang circule dans leurs veines, encore et encore, comme une vieille ritournelle ; pour se rappeler de l’aimer malgré tout, ce frère. Son père, manipulateur monstrueux, sait que Pavel n’osera pas se montrer faible devant son frère, il sait que Pavel n’osera pas désobéir devant son frère. « Veux-tu que je le fasse à ta place, Pavel ? Tout le monde sait ici que tu n’as pas les tripes. » L’aîné dégage d’un coup sec la main que son cadet venait de poser sur l’épaule ; oh, il ne doutait pas que Kiran serait capable de tuer un jour. Regard mauvais qu’il lui jette sous les sanglots apeurés de l’inconnu. « Écarte-toi, Kiran. Tu devrais apprendre à te tenir là où est ta place, c’est un conseil pour l’avenir. » Une menace qu’il énonce, l’héritier ; même s’il sait, que faire du mal à Kiran lui briserait le cœur, même s’il sait, qu’il aura toujours envie de protéger ce petit-frère. La gentillesse et la compassion doivent être données avec parcimonie qu’on lui a longtemps répété. Le jeune homme se redresse de son siège, il n’a encore jamais enlevé la vie et cette idée le fait presque vomir ; parce que son cœur est trop bon, qu’il pense à ce qu’on enlève aux proches de cet homme, peut-être qu’il a des enfants, peut-être qu’il a une femme – qui prendra soin d’eux ? Il sent le souffle d’excitation de son cadet derrière lui, trop semblable à leur père ; Pavel, au centre de la pièce face à un choix qui n’en est pas un seul, il en a conscience. Sa main se porte à la joue de l’innocent, comme pour l’apaiser, comme pour lui donner un sentiment d’amour pendant que la vie quitte son corps – trop lentement. Longtemps il observe le corps, longtemps il pense au visage triomphant de son père, longtemps qu’il pense à la grimace de Kiran, peut-être déçu qu’il ait osé. Pavel venait de comprendre une leçon : il n’y avait pas de justice dans ce monde.

SHILA. 4 août 2677. La cérémonie était grandiose ; tout était élégance, les dorures avaient été posées en parcimonie, la richesse à la fois discrète et ostentatoire. Pavel observait du coin de l’œil chaque réaction de son futur beau-frère, Cillian Gavon. La relation avec sa petite sœur avait toujours été compliquée ; qu’est-ce qui ne l’était pas chez les Xi’Nora – opposition frappante avec l’hospitalité qu’on donnait aux gens du nord. Il n’avait pas lésiné sur les moyens pour faire du mariage de Shila l’un des plus beaux événements de l’année, quelque part à l’intérieur, la désolation de la forcer à un destin qu’elle n’avait pas choisie ; la peur, peut-être de détruite cette poupée au visage toujours trop enfantin – à ses yeux, ça ne changerait jamais. Il savait, pour se conforter, que Shila n’était pas la jeune femme fragile à laquelle il se plaisait à penser, elle était forte, elle l’avait toujours été et même s’il avait encore du mal à l’avouer à voix haute, son père s’était trompé. Que ce soit Nysa ou Shila, en tant que dirigeant de la famille à présent, il voulait faire mieux, il voulait croire mieux en elles ; se faire pardonner ses erreurs d’antan, se faire pardonner cette ignorance qu’il leur a fait subir – être un véritable frère sur lequel elles peuvent s’appuyer. Mais comme aujourd’hui, ça n’est pas simple ; parce qu’il ne peut pas simplement être bon et compréhensif, il doit gouverner, il doit prendre les décisions que personne de veut prendre – prêcher le bien commun en se faisant détester, triste destin. C’est une pointe au cœur, qu’il observe l’homme prendre la main fragile de sa sœur, sauf que c’est la tradition et qu’il ne peut rien faire contre ça. Sa tête se relève un instant, parce qu’il sait qu’il trouvera le moyen de le tuer s’il lui faisait le moindre mal mais qu’il ne le dira pas ; rire amusé presque parce qu’il sait que Shila serait certainement assez forte pour s’en occuper elle-même. Sa tête se tourne vers son autre sœur, en compagnie de son ami de toujours et il pense Pavel, à cette famille déchirée, à cette famille chassée de chez elle ; la meute est toujours plus fort ensemble, il le sait. Alors il pense, à ce frère si borné, si irrespectueux envers tous les privilèges qui lui ont été donné, voulant toujours plus. La tâche se révèle ardue, plus que toutes les autres peut-être ; mais il décide de la rassembler cette famille – malgré les embuches. Ce qu’il espère, c’est qu’aucun d’eux ne le forcera à prendre une décision qu’il pourrait regretter toute sa vie.

NOAH. 1er septembre 2677. Le silence s’est installé dans l’appartement pendant que les sénateurs discutent de l’action qui se tiendra pendant la manifestation. Pavel le sentait, ils s’approchaient de plus en plus du rêve qui avait été le leur toutes ces années ; reprendre leurs royaumes. Le loup l’observe, son ami de toujours ; il le dévore presque des yeux, pensant à toutes les épreuves qu’ils avaient partagé ensembles. Ils étaient rares les hommes qui côte à côte avançaient sur le chemin de la vie aussi longtemps, avec autant de fidélité. De naissance presque jumelle, ils se connaissaient les traits du visage par cœur, ils se connaissaient les bons et les mauvais moments. Ce lien indescriptible liant le destin des deux hommes, deux héritiers dont on avait espéré trop depuis le début, deux héritiers qu’on avait préparé à la lourde tâche d’être monarques et le monde, sur leurs épaules à un si jeune âge ; responsabilités acquises avant même de les avoir demander comme si c’était naturel, responsabilités que personne d’autre ne pouvait prétendre supporter – obligés d’observer ce gouvernement, ces corrompus, se targuer de connaître les bonnes directions à prendre pour eux. C’est sa main qu’il porta à sa bouche, signe de réflexion face au regard perdu de son ami par la fenêtre ; face à cette réponse évasive qu’il avait reçue. Il sait Pavel, qu’il y a ce non-dit entre eux ; secret intarissable, secret dont il n’arrive pas à connaître les dessous – comme un murmure lui disant de se méfier de ce que le Sielle peut lui cacher, à lui. Parce qu’ils ne cachaient rien, jamais. « Noah. » Qu’il annonce, la voix douce, comme habituée, parce qu’il n’est jamais question de violence entre eux. « Toutes les épreuves, les plus faciles, comme les plus difficiles, on les a toujours surmontées ensemble ; tu es le seul avec qui je peux être vrai. » Sa main retombe sur l’accoudoir, parce qu’il préfère le dire, parce qu’il préfère laisser parler son cœur face à son frère. Parce qu’ils pourraient mourir dans quelques jours ; n’importe quand. « Tu sais que le contraire vaut aussi, n’est-ce pas ? Tu sais que je peux tout entendre, venant de toi… » La fin de la phrase qui semble se perdre alors que son ami hoche la tête, alors que Pavel voit dans ses yeux l’affection profonde qu’ils ont l’un pour l’autre. Pourtant il y a toujours cette lueur dans le fond du regard, et ça lui fait peur, ça l’effraie ; pourtant il se tient à ses côtés, il sera toujours. Et pour l’amour qu’il lui porte, il choisit de ne plus y penser.

CASSIOPEE. Indomptable qu’elle était ; magnifique tout autant qu’on lui avait décrit, les jours passaient, les semaines, les années même et la sensation restait la même. Pavel, homme amoureux des femmes, à leur beauté trompeuse ; ne s’habituerait jamais à la beauté de sa femme. Mariage politique, alliance avantageuse scellant un peu plus deux familles nordiques – partenaire qui devenait reine de Hiokuri à juste titre. Responsabilités endossées, consentant à ce poids le jour de son mariage, il s’était fait la promesse, faute de sentiments amoureux, de la protéger, de prendre soin d’elle autant qu’il le pourrait ; de la faire se sentir à l’aise en sa compagnie, assez pour obtenir quelques plaisirs pendant l’acte intime, assez pour qu’elle lui parle à cœur ouvert. Pourtant il en était loin de ces petites histoires ; se sachant pas comment l’approcher, ne sachant pas comment se montrer doux au milieu de ce poids croulant sur ses épaules – pas le temps pour les courbettes. De loin, il l’observait, en pleine conversation avec ses deux amies ; une sœur qu’il n’avait que trop négligée et une cousine de Noah – rien à redire à ces fréquentations mais toujours au tableau, manquait son propre visage. Parce que c’était une confiance qu’il n’avait pas encore acquise. Avec le temps, étrangement, cette envie d’être plus présent, cette envie de la connaitre plus ; comme un attachement qui le tissait lui à elle comme une toile d’araignée entourant doucement leurs deux âmes. Un coup de tête peut-être, quelque peu perdu entre ses responsabilités envers elle et ses réels sentiments, l’envie aussi de savoir où s’en tenir ; Pavel se dirigea vers les jardins, là où le soleil ne brillait plus. Gêné des regards des trois femmes qui se tournèrent soudainement vers lui, dans un silence pesant, il s’éclaircit la gorge : « Cassiopée. Je vais être très occupé pour les jours à venir, j’aimerais que tu acceptes de faire une promenade avec moi. » Alors qu’il lui donna son bras, Pavel, dirigeant hors pair sous à tous les niveaux mais toujours quelque peu maladroit avec la gente féminine ; parce que ce n’est pas une leçon qu’Anju Xi’Nora lui avait apprise. Parce qu’il était temps qu’il fasse quelques efforts avec sa femme trop délaissée jusqu’alors, parce qu’il était temps qu’il apprenne à connaître d’elle autre chose que les rumeurs qu’ils entendaient d’une oreille discrète, parce qu’il était temps qu’il apprenne à connaître ses aspirations, ses rêves, ses peurs ; sans réellement savoir où cette histoire pourrait les mener.