AUREUS, 28 JUILLET 2677.
L’air est beaucoup trop lourd, aujourd’hui. Il le sent douloureusement s’engouffrer dans sa gorge, puis dans ses poumons, jusqu’à ce qu’il expire bruyamment. Soupir qui ne s’entend guère, vu les cris des manifestants. Ils sont déchainés, ce jour là. Ils cris, ils hurlent leur mécontentements à l’égards des attentats et des flagellations. C’est un véritable ras-le-bol général qui se ressent, et la frustration est au rendez-vous. La colère de ces gens pourrait presque s’engouffrer en lui, si il n’avait pas une telle maitrise de ses émotions, Lélio. Ses iris sombres se posent sur la foule, sur les différents visages d’inconnus, et une chose le frappe. Ils sont tous différents, issues de milieu différents, et pourtant, il peut lire la même colère sur leurs visages. Elle déforme leurs traits, laissant pour certains place à une véritable rage. Lui, reste neutre, comme à son habitude. A l’écart de la foule, il reste dans l’ombre à observer les évènements s’enchainer sans qu’il ne maitrise rien. Ses pas le poussent à suivre la foule, le traine dans les rues principales d’Auréus, jusqu’à ce que quelque chose attire son attention. Ou plutôt quelqu’un. Kasia. Il sent un vide creuser ses entrailles, pour finalement sentir un poids qui l’entrainerait six pieds sous terre si le sol venait à s’ouvrir sous ses pieds. Elle avance, d’un pas rapide, aux côtés d’une personne que Lélio reconnaît sans peine : son frère. Il inspire fortement, et il expire, tentant de calmer son rythme cardiaque qui ne cesse de s’accélérer. Le maitre des émotions perd absolument tout contrôle, dès qu’il s’agit d’elle. Son palpitant s’emballe, il se déchaine contre sa poitrine alors que ses iris noirs fixent les deux Gavon en fuite. Il les voit partir ensemble, côte à côte, et il ne faut que quelques secondes pour que ses yeux ne soient voilés par les fantômes du passé. Il se trouve entrainer dans les abysses de son esprit, et il revit chaque moment avec intensité. La négativité de la situation, et la colère sourde qui menace d’exploser à l’intérieur de lui ne fait que conforter cette négativité, et les moments les plus douloureux semblent se répéter. Il se revoit, poser un genou à terre, entrouvrir les lèvres pour lui demander d’être sa femme, comme il se souvient de sa réponse. Un non, auquel il ne s’attendait pas. Un non, qui sera le début du déclin pour leur relation. Il se sent de nouveau perdre pieds, et ses jambes semblent le lâcher. Il est pudique, lorsqu’il s’agit des sentiments, mais les nombreux manifestants n’existent plus à cet instant. Ils sont loin, leurs cris semblent à des kilomètres, il n’existe plus qu’elle. Et son refus. Il ne peut s’empêcher de poser la main sur le mur d’à côté. Puis, le voile de torture qui s’est glissé devant ses yeux passe de cette scène désastreuse à une autre. Le moment où il apprend son appartenance au Cercle. Et boum, un nouveau poids vient se loger dans le creux de ses entrailles. Son palpitant bat deux fois plus vite que précédemment. Il se revoit en colère, face aux idées qu’elle vient de lui balancer en pleine figure. Il se revoit, lui couper la parole pour ne pas lui laisser lui expliquer qu’elle est dans ce mouvement à cause de son nom de famille, plutôt que par véritables convictions. Et cette colère, il la ressent. Sa mâchoire se crispe, en miroir à la scène, et ses poings de serrent. Il a envie de hurler, mais la seule chose qu’il fait c’est se taper le poing contre le mur. Douleur physique qui le ramène brutalement à la réalité. Ses yeux semblent soudainement voir à nouveau, et la lumière semble presque aveuglante. Pourtant, il a le temps d’apercevoir une dernière fois les deux silhouettes avant qu’elles ne disparaître. Il la sent s’éloigner, bien qu’elle ne soit plus véritablement près de lui depuis plusieurs semaines. Il la sent partir, comme il sent ses entrailles se nouer. Il sait qu’elle s’en va, il en est convaincu. Et elle s’en va avec lui. Avec le reste de sa famille. Elle les a choisi. Son palpitant ralentit, beaucoup trop vite, et cette fois-ci il sent véritablement ses jambes défaillir. Il a simplement le temps de s’isoler, de se cacher dans une ruelle pour finalement laisser la colère exploser. Il donne des coups dans tout ce qui se trouve sur son passage, gestes purement défoulatoires, violence que seule elle est capable de provoquer,  avant de s’adosser contre un mur et de se laisser lourdement sur le sol. Il sent les larmes monter, mais il les sent à peine couler, noyé par la flopée d’émotions qui déchirent ses entrailles. Il se sent mal, beaucoup trop mal, et ce n’est que le début d’un deuil trop difficile à faire. Deuil qui finira par se transformer en colère, en rancœur contre celle qu’il croit définitivement partie avec sa famille, alors qu’elle était en train de fuir pour survivre.